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I08 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

en problèmes ne lui inspirent que mépris. De Peer Gynt, héros national et symbolique, il ne retiendra que le lyrisme élémen- taire, le goût de l'aventure, et ce tempérament antisocial des solitaires des ijells et des fjords. Il exalte Bjôrnson ; il sait bien que la naïve chanson de Synnôve Solbakken lui fournira le thème d'une âpre et déchirante musique oià se haussa rarement le génie du poète-orateur.

Pur artiste, indifférent aux préoccupations sociales, reli- gieuses, morales, qui avaient divisé la génération précédente, ennemi-né des conventions — il appelle ainsi tout ce qui opprime le libre épanouissement de sa fantaisie — Knut Ham- sun restitue à l'âme nationale sa spontanéité : protestation contre les empiétements de la civilisation, contention doulou- reuse des intelligences et des cœurs, revanches du sentiment personnel, délires de l'homme enivré de la beauté grandiose de son pays, Knut Hamsun élève un autel aux passions les plus durables et les plus vraies de ses compatriotes. La Norvège se reconnaît en lui. Les Slaves, les Germaniques de l'Europe cen- trale entendent son appel, qui remémore aux uns la mélopée des steppes, aux autres l'enchantement lointain de la forêt ancestrale. Il est presque aussitôt célèbre en Russie et en Allemagne qu'en Scandinavie. Lui-même accueille l'exemple de Dostoïewski et la doctrine de Nietzsche que tels de ses per- sonnages balbutient gauchement.

Mais il est et demeure Norv^égien ; ni les conceptions du monde à l'allemande, ni les énervements et les curiosités déca- dentes à la russe n'effleurent sa robustesse ; il hait Tolstoï ; son amour des humbles et des simples ignore le sentimentalisme démocratique ; il déteste le socialisme. Sa mélancolie est fille des nuits polaires; sa joie obéit au rv'thme et participe à l'élan orgiaque des fêtes du printemps encore illuminées des feux tremblants de l'aurore boréale en ces îles Lofoten, patrie de son enfance et de son adolescence. Il entre dans son perpétuel défi comme un renouveau de cette fureur que divinisaient les meil- leurs des vikings (les e bersècres ») ; le démon de sa race l'entraîne et ne lui permet aucune infidélité.

Son Pan n'est pas le fils d'Hermès et de la nymphe Dr)'ope, mais une divinité Scandinave, irritable, à peine distincte de la roche inerte et de la plante auxquelles il prête une voix de sor-

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