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112 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

la fit, il n'était guère autre chose. Elle comporte néanmoins un élément de bon sens et de candeur : à savoir qu'elle recon- naît qu'une grande partie de la vérité nous demeure cachée. Et si Lamartine a pataugé dans le romantisme lorsqu'une jeunesse déréglée ne pouvait plus lui servir d'excuse, la raison n'en était pas seulement dans son égotisme et dans sa sentimentalité, mais aussi en partie dans le fait que le sens qu'il avait du mys- tère des choses avait survécu en lui, grâce à l'aspiration vers l'idéal qui ne s'était jamais entièrement éteinte en son esprit, et à la fidélité qu'il avait conservée à l'idée de vérité.

Mais aujourd'hui ce n'est pas de Lamartine que nous voulons nous occuper, mais de M. Charles Maurras. Un abîme sépare ces deux hommes, et pourtant il y a entre eux un trait de res- semblance qui est significatif. L'initiation de M. Maurras à l'ac- tivité littéraire fut une immersion semblable à celle de Lamar- tine, avec la différence que lorsque le moment fut venu d'émer- • ger, il choisit l'autre bord de l'étang. Pendant qu'il était à la nage il se débattit, il nous semble, avec tout autant de vigueur que son grand prédécesseur. Son individualisme séditieux le mena un moment jusqu'à nier le bien-fondé des mathématiques. Pourtant il émergea ; et il émergea l'âme marquée d'une haine irréductible du romantisme. Il avait découvert que la seule chose essentielle à la vie était l'ordre ; il était prêt à rendre un culte à l'ordre, partout où il le trouverait, et quel qu'en fût le prix. Il ne faisait qu'une exception, mais elle est curieuse. La conduite de l'individu, dit M. Maurras, ne regarde que lui seul. « Nous ne sommes pas des gens moraux ! » L'ordre ne doit pas sourdre du dedans, mais être appliqué du dehors. C'est notre devoir sacré de l'imposer au monde. Nous n'avons pas à convaincre, mais à réduire l'individu. Il n'est donc pas néces- saire que les idées soient vraies, pourvu qu'elles en aient suf- fisamment l'air. Ce qu'il faut, c'est qu'elles soient tranchantes et agissantes. C'est ainsi que la vérité tombe au second plan : la loi qui régit la vie est l'opportunisme.

Pour l'esprit anglais, auquel une expérience traditionnelle fait envisager l'ordre comme étant le fruit du caractère et de l'indépendance, semblable attitude tend à paraître incompréhen- sible ; et c'est pour établir entre les théories de M. Maurras et notre esprit, quelque relation qui puisse nous les rendre

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