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LA PESTE 165

appelle des carrochas et sur leurs samarras, car je suis le peintre breveté de la Sainte Inquisition. Ces sorcières m'ont valu mes plus belles-œuvres, toutes de sensibi- lité. »

Il ajouta à voix posée, comme la procession oscillait en reprenant sa marche : « Je peins les croix, les carro- chas et les samarras dont le fond est gris. Voyez, le portrait de l'hérétique ou du sorcier est traité avec naturel et viva- cité. Je peins d'après nature, dans la geôle même où ces infâ- mes fatiguent le ciel de leurs cris. Je vous recommande cette jeune femme ou fille, peu m'importe, la troisième, après la file des hommes. Vous y êtes ?J'ai peint son por- trait sur les deux faces de la samarra, car cette fille porte ce vêtement artistique, pour avoir nié devant le saint tribu- nal, bien qu'elle fût convaincue d'avoir introduit dans notre ville l'cdieuse et la mélancolique peste dont ceux qu'elle choisit perdent, dit-on, les sentiments de l'esprit.

« La nuit, confia le peintre patibulaire, il me semble que toute ma peau tendue converge vers un énorme bubon qui éclate avec un bruit de tonnerre, La peste va dominer le monde et les volcans ne sont que des bubons peut-être libérateurs, si j'en crois mes songes.

— Et le commerce ? interrogea Mac Graw.

— Ah que le diable ici peint te f.... glapit Poisson- Rouge. Ce beau merle vient nous parler de commerce, quand toute la ville tremble comme une fillette tendant sa main à une diseuse de bonne aventure.

« Regardez, s'exaltait l'homme que Mac Graw avait connu, regardez mes portraits et les principes décoratifs des supplices divers, selon l'âme du patient, ses goûts, ce qu'il fut, ce qu'il deviendra et surtout ce qu'il regrette, car toute la subtilité de mon art consiste à matérialiser le regret de la vie avec des images dont toutes ne sont pas symboli- ques. »

L'artiste se prit la tête entre ses mains et gémit : Mes chefs-d'œuvre, mes pauvres chefs-d'œuvre seront encore

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