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NOTES 205

concentrer, en une phrase brève, une grande richesse de vues (ce n'est point une comparaison que j'établis entre des auteurs, mais deux tours d'esprit dont je marque la différence). Ce pro- cédé est poli, mais un peu téméraire, même, surtout, chez de si grands esprits. Car ils renferment et condensent, dans une maxime, une ample matière, qui prête un fondement solide, et ouvre un vaste champ à des réflexions profondes : ce qui sup- pose un lecteur réfléchi, et capable de profondeur. J'ai dit que c'était poli, mais téméraire. Et pour dégager d'une formule tout ce que le grand esprit qui l'a ciselée y a inclus, il y fau- drait un esprit de même taille. Voyez plutôt l'Evangile : tout l'effort des docteurs, depuis 1900 ans, s'applique à en rendre explicites les leçons implicites: et je ne compte pas les hérésiar- ques, ni le risque qu'on court à extraire d'une formule ce qu'on suppose qu'elle renferme, ni le danger des paraphrases, ni l'au- dace des commentaires.

M. Proust n'est pas moins poli, ni moins téméraire ; seule- lement, c'est d'autre façon. Il nous fait la grâce de penser que nous sommes bons marcheurs, et pourvus de bons yeux. Il ne se contente pas de montrer au lecteur de vastes perspectives, où le laisser s'aventurer. Une infinité de petits sentiers s'enchevê- trent, dans ce pavsage, qui n'est pas une toile de fond, mais un décor réel, et plein d'animation. Il s'y engage, les suit tous, jus- qu'au bout; revient sur ses pas, sans se perdre jamais, en nous tirant par la manche. On n'a qu'aie suivre. Ce n'est déjà pas si commode, et beaucoup restent en chemin. Ce qui, d'abord, semble un peu irritant, c'est la tutelle où il nous tient : il ne laisse rien à découvrir à notre imagination, ou à notre curio- sité : chez lui, l'une est si vive, l'autre si attentive, que nous n'avons qu'à rester cois. Mais ce n'est qu'une illusion. Montesquieu écrit quelque part : « Il ne faut pas toujours telle- ment épuiser un sujet qu'on ne laisse rien à faire au lecteur. » Le conseil paraît juste ; il est au fond bien vain. On n'épuise jamais un sujet. Il peut arriver quelquefois qu'on en extraie tout le suc, toutes les leçons : le lecteur se rattrape sur les appli- cations, et en découvre d'autant plus que les vues qu'on lui ouvre sont plus claires et plus nombreuses. Ainsi fait M. Proust. Il nous laisse la liberté de recommencer cette excursion, non plus à sa suite, et en novices ignorants et soumis, mais cette

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