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UNE AGOXIE 17

peu de lui l'attention du visiteur, et prenait par là, dans sa gaucherie une importance excessive, donnant l'impres- sion d'une amabilité exagérée... Puis la vue revint complè- tement et des yeux le mal nomade passa aux oreilles. Pen- dant quelques jours, ma grand'mère fut sourde. Et comme elle avait peur d'être surprise par la brusque entrée de quelqu'un qu'elle n'aurait pas entendu venir, à tout mo- ment (bien que couchée du côté du mur) elle détournait brusquement la tète vers la porte. Mais le mouvement de son cou était maladroit, car on ne se fait pas en quelques jours à cette transposition, sinon de regarder les bruits, du moins d'écouter avec les yeux. Enfin les douleurs dimi- nuèrent, mais l'embarras de la parole augmenta. On était obligé de faire répéter à ma grand'mère à peu près tout ce qu'elle disait.

Selon notre médecin c'était un symptôme que la con- gestion du cerveau augmentait. Il fallait le dégager. Cottard hésitait. Françoise espéra un instant qu'on mettrait des ven- touses « clarifiées ». Elle en chercha les effets dans mon dictionnaire, mais ne put les trouver. Eût-elle bien dit sca- rifiées au lieu de clarifiées qu'elle n'eût pas trouvé davan- tage cet adjectif, car elle ne le cherchait pas plus à la lettre C qu'à la lettre S : elle disait en effet clarifiées, mais écrivait (et par conséquent croyait que c'était écrit) « escarifiées ». Cottard, ce qui la déçut, donna, sans beaucoup d'espoir, la préférence aux sangsues. Quand, quelques heures après, j'entrai chez ma grand'mère, attachés à sa nuque, à ses tempes, à ses oreilles, les petits serpents noirs se tordaient dans sa chevelure ensanglantée, comme dans cel'e de Méduse. Mais dans son visage pâle et pacifié, entièrement immobile, je vis grands ouverts, lumineux et calmes, ses beaux yeax d'autrefois, (peut-être encore plus surchargés d'intelligence qu'ils n'étaient avant sa maladie, parce que, comme elle ne pouvait pas parler, ne devait pas bouger, c'est à ses yeux seuls qu'elle confiait sa pensée, la pensée .qui tantôt tient en nous une place immense, nous offrant

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