Page:NRF 16.djvu/271

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

EUPALIKOS OU l'architecte 265

nous formons de nos fantômes ; ces voix tout amorties qui nous restent à peine, et qu'on dirait chucliotées dans l'épais vd'une toison ou dans l'indolence d'une brume... Tu dois souffrir, cher Phèdre ! Mais encore, ne pas assez souffrir... Cela même nous est interdit, étant vivre.

Phèdre. — Je crois à chaque instant que je vais souf- frir... Mais ne me parle pas, je te prie, de ce que j'ai perdu. Laisse ma mémoire à soi-même. Laisse-lui son soleil et ses •statues ! O quel contraste me possède ! Il y a peut-être, pour les souvenirs, une espèce de seconde mort que je n'ai pas encore subie. Mais je revis, mais je revois les cieux éphémères !... Ce qu'il y a de plus beau ne figure pas dans l'éternel !

SocRATE. — Où donc le places-tu ?

Phèdre. — Rien de beau n'est séparable de la vie, et la vie est ce qui meurt.

SocRATE. — On peut le dire... Mais la plupart ont de la Beauté je ne sais quelle notion immortelle.

Phèdre. — Je te dirai, Socrate, que la beauté, selon ce Phèdre que je fus...

Socrate. — Platon n'est-il pas dans ces parages ?

Phèdre. — Je parle contre lui.

Socrate. — Eh bien ! parle !

Phèdre. — .... ne réside pas dans certains rares objets, ni même dans ces modèles situés hors de la nature, et contemplés par les âmes les plus nobles comme les exem- plaires de leurs desseins et les types secrets de leurs tra- vaux ; choses sacrées, et dont il conviendrait de parler avec les mots mêmes du poète :

Gloire du long désir, Idées !

Socrate. — Quel poète ?

Phèdre. — Le très admirable Stephanos, qui parut tant de siècles après nous. Mais à mon sentiment, l'idée de ces Idées, desquelles notre merveilleux Platon est le père, est infiniment trop simple, et comme trop pure, pour

�� �