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274 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

que je ne suis. Tout est clair, et semble facile. Alors, mes combinaisons se poursuivent et se conservent dans ma lumière. Je sens mon besoin de beauté, égal à mes res- sources inconnues, engendrer à soi seul des figures qui le contentent. Je désire de tout mon être... Les puissances accourent. Tu sais bien que les puissances de l'âme pro- cèdent étrangement de la nuit... Elles s'avancent, par illusions, jusqu'au réel. Je les appelle, je les adjure par mon silence... Les voici, toutes chargées de clartés et d'erreur. Le vrai, le faux, brillent également dans leurs yeux, sur leurs diadèmes. Elles m'écrasent de leurs dons, elles m'assiègent de leurs ailes... Phèdre, c'est ici le péril ! C'est la plus difficile chose du monde !... O moment le plus important, et déchirement capital!... Ces faveurs surabondantes et mystérieuses, loin de les accueillir telles quelles, uniquement déduites du grand désir, naïvement formées de l'extrême attente de mon âme, il faut que je les arrête, ô Phèdre, et qu'elles attendent mon signal. Et les ayant obtenues par une sorte d'interruption de ma vie (adorable suspens de l'ordinaire durée), je veux encore que je divise l'indivisible, et que je tempère et que j'inter- rompe la naissance même des Idées...

— O malheureux, lui dis-je, que veux-tu faire pendant un éclair ?

— Etre libre. Il y a bien des choses, reprit-il, il y a... toutes choses dans cet instant ; et tout ce dont s'occupent les philosophes se passe entre le regard qui tombe sur un objet, et la connaissance qui en résulte... pour en finir toujours prématurément.

— Je ne te comprends pas. Tu t'efforces donc de retarder , ces Idées?

— Il le faut. Je les empêche de me satisfaire. Je diffère le pur bonheur.

— Pourquoi ? D'où tires-tu cette force cruelle ?

— C'est qu'il m'importe, sur toute chose, d'obtenir de ce qui va être, qu'il satisfasse, avec toute la vigueur de sa

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