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EUPALINOS OU L ARCHITECTE 279

��AUTRE FRAGMENT

SocRATE. — Je suis encore tout imprégné des propos d'Eupalinos que tu rapportais. En moi-même ils ont réveillé quelque chose qui leur ressemble.

Phèdre. — Tu contenais donc un architecte ?

SocRATE. — Rien ne peut nous séduire, rien nous attirer ; rien ne fait se dresser notre oreille, se fixer notre regard ; rien, par nous, n'est choisi dans la multitude des choses, et ne rend inégale notre dme, qui ne soit, en quelque manière, ou pré-existant dans notre être, ou attendu secrètement par notre nature. Tout ce que nous devenons, même passagèrement, était préparé. Il y avait en moi un architecte, que les circonstances n'ont pas achevé de former.

Phèdre. — A quoi le connais-tu ?

SocRATE. — A je ne sais quelle intention profonde de construire, qui inquiète sourdement ma pensée.

Phèdre. — Tu n'en fis rien paraître, quand nous étions.

SocRATE. — Je t'ai dit que je suis né plusieurs, et que je suis m.ort, un seul. L'enfant qui vient est une foule innombrable, que la vie réduit assez tôt à un seul indi- vidu, celui qui se manifeste et qui meurt. Une quantité de Socrates est née avec m.oi, d'où peu à peu se détacha le Socrate qui était dû aux magistrats et à la ciguë.

Phèdre. — Et que sont devenus tous les autres ?

Socrate. — Idées. Ils sont restés à l'état d'idées. Ils sont venus demander à être, et ils ont été refusés. Je les gardais en moi, en tant que mes doutes et mes contradictions... Parfois, ces germes de personnes sont favorisés par l'occa- sion, et nous voici très près de changer de nature. Nous nous trouvons des goûts et des dons que nous ne soupçon-

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