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324 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

vis une casquette surnageant à environ deux mètres du bouillonnement. Je compris alors que c'était le Commis- saire qui se noyait. J'appelai immédiatement à l'aide afin de diriger la baleinière sur ce point, mais personne ne bougea. Je pris alors un aviron que je tendis dans la direc- tion du bouillonnement, qui devenait de plus en plus faible, mais il ne fut pas assez long pour arriver jusque-là ; je le lâchai alors et le lançai. Malheureusement il était trop tard ; je ne vis pas le Commissaire s'y accrocher ; l'agi- tation de l'eau disparut et ce fut tout. Le pauvre Lejeune avait, dans sa folie, voulu recommencer une deuxième tentative pour aller à terre, mais cette fois il n'avait pas eu la force de se tenir accroché à la lisse du canot et sans nul doute il avait glissé avant d'avoir eu le temps de pousser un cri ; sa faiblesse était déjà si grande qu'une fois tombé il n'avait guère pu se maintenir à la surface. Ainsi disparut la quatrième victime de mon embarcation.

Ce triste événement m'impressionna beaucoup et moi qui jusque-là n'avait .presque pas pensé que je pusse me noyer, je me fis cette réflexion : « Peut-être que dans une

heure, deux heures, trois heures je deviendrai fou comme

cethomm.eet me noirai de la même façon » Ces tristes

pensées envahirent mon cerveau et je vis alors en imagi- nation n'ja pauvre famille éplorée versant des torrents de larmes sur le disparu, sans espoir de retour.

Après les tragiques incidents qui avaient marqué la pre- mière partie de cette nuit, nous passâmes la seconde dans une angoisse inexprimable et elle ne nous parut ne devoir jamais s'achever. Quelques heures avant le jour, l'halluci- nation que nous avions eue jusque-là finit par disparaître ; c'était la brume qui se dissipait et la lune qui se couchait. La brise devint plus fraîche, le ciel moins couvert ; j'aperçus l'étoile polaire, qui me permit de prendre la direction à l'Ouest, en constatant que la brise venait du Nord.

Le petit jour parut enfin et avec lui l'espoir d'apercevoir un navire sauveur ; la brise avait fraîchi et la mer devenait

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