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406 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

dettes, que je paierai en dix ans au plus. » Faute d'avoir prévu la Bérésina et Leipzig, en 1814 Beyle avait bien les 36.000 francs de dettes, mais il n'avait point de préfecture. Il n'avait même plus de place du tout. Sa situation était tragique. « Il faut se brûler la cervelle tout de suite, ou chercher à vivre comme je pourrai », écrit-il à sa sœur.

Beyle était courageux ; il chercha en effet à vivre, comme il pouvait. « Me voilà culbuté de fond en comble, au moment où on demandait tout pour moi. Ohimé ! Je vendrai mon mobilier et filerai dans deux mois. » Jolie crânerie d'un homme à qui quelques dures aventures, et l'approche répétée de la mort, avaient appris à jouir, sans illusion sur l'avenir, delà minute présente, et à ne point s'exagérer les accidents de la vie, — morale de poilu, que la guerre nous a de nouveau enseignée'.

Beyle se mit donc à combiner des ventes et de nouveaux emprunts, pour s'assurer quelques années à peine d'une existence précaire. « Il me faut 6.000 francs par an, écrit-il à Pauline, dont deux mille pour payer de gros intérêts. » — « Je n'ai d'autre ressource que de manger ce que me doit M. Gagnon, de vendre la maison, de payer mes créan- ciers, et, au bout de trois ans, de mourir de faim. » Mais aussitôt il lui parle de ses lectures, de M™'^ de Staël et d'Helvétius.

Déchu, ruiné, mais toujours fier, Beyle se résout donc à aller «vivre en pauvre diable » à Milan, à Rome ou à Venise, résidences économiques. Avant de partir, il écrit à Pauline : « Je vais commencer une rude épreuve, et qui peut être longue. » — «... dix ou vingt ans de misère viennent me tomber sur le corps. »

Et sans doute il va rencontrer, dès Turin, « une musi- que charmante », mais, à Milan, la sublime Angela, déçue peut-être de retrouver un amant aussi dénué et improduc-

��I «... ne jamais remettre au lendemain la jouissance que l'on peut se procurer le jour même, fût-ce celle d'avaler une huître. »

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