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500 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

qui ne connaît que la lutte et non la réconciliation : lutte à outrance qui ne finit jamais qu'à la mort, mort de l'individu, mort d'un peuple, mort d'une culture.

Il est donc facile de prévoir ce qui doit arriver. Prussiens et Anglais se feront une guerre acharnée jusqu'à ce qu'enfin soit apportée une décision à la grande question qui les divise et qu'on sache s'il doit y avoir sur cette terre dictature de l'orga- nisation ou dictature de l'argent, si nous serons commandés par des généraux ou exploités par des milliardaires, enfin si nous serons socialistes à la manière prussienne ou libéraux à la façon anglaise.

En relisant tout à l'heure le livre de M. Spengler une ques- tion qu'autrefois se posait le sage Montaigne m'est revenue à l'esprit : « Mais d'oii il puisse advenir qu'une âme riche de la cognoissance de toutes choses, n'en devienne pas plus vifve et plus esveillée ; et qu'un esprit grossier et vulgaire puisse loger en soi, sans s'amender, les discours et les jugements des plus excellents esprits que le monde ait portés ; j'en suis encore en doubte ». Pourtant M. Spengler ne ressemble pas à l'humaniste pédant, que Montaigne avait en vue. C'est un savant érudit, sans doute, mais son savoir n'a rien de stérile : de tout ce qu'il apprend, il fait quelque chose, il l'ordonne, il le fait servir. Son esprit n'a rien d'une encyclopédie, dans laquelle les mots ne s'accumuleraient que pour retomber aussitôt dans un sommeil à peine interrompu ; c'est un homme à systèmes, et tout chez lui est en éveil, tout lutte pour le maître, pour la cause qu'il défend. Les idées qu'il recueille, loin de s'assoupir dans de larges in- folios, vont toujours en avant; il les domine, il les commande.

Et cependant le cas de M. Spengler pose un problème, non moins troublant pour ses contemporains que celui qui autrefois préoccupait l'esprit de Montaigne. Si le savoir de M. Spengler est universel, son esprit au fond ne l'est guère. Il a vu infini- ment de choses, et pourtant sa vue est restée courte. L'universel oblige ; M. Spengler ne connaît aucune obligation de la sorte. Revenu d'un long voyage qui l'a mené autour du monde, il reprend facilement son existence d'autrefois ; il a vite fait de se refaire aux préjugés de son milieu, et invective ceux qui ne les partagent pas.

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