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LE VOITURIER 525

parut devant le tribunal, il avait l'air mieux portant que jamais. Il paraissait soulagé, délivré, guéri. Il ne chercha point à se défendre ; il ne lâcha pas, non plus, un mot que l'on pût mettre à sa charge. C'était un homme dont il n'y avait rien à dire. Personne de Berville ne témoigna contre lui, le coup de tranchet mis à part. On lui a laissé sa tête, à ce Laudrel, et on l'a expédié en Guyane où il doit avoir plus chaud que nous, à l'heure présente.

Le curieux. Monsieur, est que ce malheureux ne semblait pas s'intéresser à son procès. Chaque fois qu'on lui rappelait son crime, il était stupéfait ; il ne disait ni oui, ni non ; il n'avait pas l'air bien convaincu que c'était lui qui avait fait la chose et il parlait comme quelqu'un que l'on réveille en sursaut.

Bah ! en voilà bien assez de ce Laudrel. Je peux pour- tant vous dire encore une chose : les gens de Liancourt connurent, par les gazettes, tous les détails du procès de Rouen. A compter de ce moment, Liancourt retomba dans le calme et tout le monde se trouva satisfait. D'ailleurs, il ne se produisit plus, dans ce village, que des choses naturelles, il y eut des accidents, des maladies, quelques incendies, mais plus rien que des choses naturelles.

Vous vous demandez, sans doute, comment il se fait que je sache tout le vrai de l'affaire. C'est que moi. Mon- sieur, je voyage beaucoup. Je suis toujours sur les routes. Je réfléchis. J'écoute grincer l'essieu, j'écoute le pas de mes chevaux et mille autres bruits, mille autres ! Je re- garde le jour naître et mourir sur les vitres du village. Je bois avec les hommes dans les auberges. Je comprends mieux que beaucoup les cris qu'on entend, le soir, en rase plaine, quand les villages se parlent de loin, avant le sommeil. Je sais beaucoup d'histoires, oui ! beaucoup d'histoires.

Ah ! voilà la maison de feu Ginest. Cette maison que vous voyez là-bas, près du remblai que nous appelons ici un fossé et sur lequel il y a des hêtres. La limite des deux

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