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604 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

brillant parti. Je cède au plaisir de citer quelques vers pris au hasard :

Venls qui souffie:^ de la sanglante mer et des frontières Et secoue^ nos cœurs comme les volets sur leurs gonds Que faites-vous entendre, en vos tumultueux jargons Lorsque vous gémisse^ dans les chéneaux et les gouttières ? Etes-vous h soupir des bois changés en cimetières La plainte des blessés hurlant aux cahots des wagons ?...

11 est évident que de tels vers ont un rythme aussi sensible, sinon aussi simple que l'alexandrin, et comme lui ils sont sus- ceptibles de monotonie. Pour charmer, le poète doit porter son art et le tenir légèrement au-delà de l'habitude. En cela consiste la surprise légitime et heureuse, qui ne détourne pas l'esprit du discours et du sens.

La prosodie française est assez riche pour se renouveler dans ses limites naturelles. IlsufBt de laisser certaines formes reposer et décanter pour qu'elles retrouvent leur saveur. Ainsi, le vers de dix syllabes, longtemps considéré comme le vers épique par excellence, puis réservé à la poésie légère, a retrouvé, grâce à M. Henri Pourrat, qui en a usé avec bonheur dans ses Monta- gnards, ses vertus primitives.

En même temps qu'il réclame un art objectif et capable de créer un lien entre les hommes de bonne volonté, M. Luc Dur- tain fait de la poésie un art étroitement subjectif, dont chacun invente soi-même les règles, sans nui égard à la tradition natio- nale. Ses vues sur l'art sont commandées par ses conceptions politiques et sociales. Il veut aller au peuple. Il ne le dit pas en propres termes parce que ce désir, exprimé sous cette forme, est un peu démodé, mais telle est bien sa pensée. Et son tourment secret, c'est l'invincible indifférence qu'oppose le plus grand nombre à l'effort des écrivains qui se piquent d'aimer le peuple et de s'en faire aimer. En se présentant comme des poètes, comme des hommes de progrès, ils croient augmenter leurs chances. Q.uelle erreur ! c'est dans le peuple que la tradition, toutes les traditions (et l'esprit révolutionnaire, en France, en est une) sont le plus profondément enracinées. Les déforma- tions de tout ordre sont le rasroùt des délicats et des renchéris. Le peuple, lui, demande des peintures ressemblantes, des

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