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NOTES ' 609

créer des équivoques ou justifier son cynisme, Péguy se le donne pour atteindre le réel et propager la moralité. » Pourtant, chez l'un comme chez l'autre, on découvre « un pareil amour des choses en soi qui révèlent une origine et des préoccupations populaires. »

On voit par ces minces extraits quelle est la qualité de la réflexion chez M. Johannet, ce qu'elle précise, ce qu'elle suggère. Il faudrait citer le morceau consacré au Bergsonisme de Péguy et de son style — celui que M. Bergson devrait avoir et qu'il n'a point — celui que Péguy a eu pour lui : exactement la sténographie du subconscient. <« Dans la discussion... il manœuvre ses répétitions, ses juxtapositions de telle sorte que l'équivoque à extirper, que le sophisme à réduire, martelés, tenaillés, se déchaussent, s'écrasent, disparaissent. Pendant ce temps là, o-rimpé sur ses répétitions... le raisonnement fait son ascension parfois encombrante mais toujours sûre. » Dans la description, par un procédé analogue, « il provoque à la longue toutes les sensations de la présence... » Cela est juste et excellent, et juste aussi, me semble-t-il, l'idée de faire sortir la bonne prose de Péguy de la plus mauvaise prose de Hugo que l'auteur de Jeanne d'Arc avait tant pratiqué... Mais nous n'en finirions pas. — Qu'il s'agisse de l'œuvre ou de l'homme, M. Johannet n'est jamais à court et fait vivre par le dedans tout ce qu'il touche. Si quelqu'un ignore M. Sorel, qu'il lise d'abord le portrait qu'il en trace, le montrant tour à tour individualiste, socialiste, syndicaliste et traditionaliste comme Péguy, pour redevenir enfin bolcheviste, et balancé exactement entre Lénine et Maurras. « Attitude de veilleur et de curieux ? » peut-être. Pourtant il y a le fameux conseil : « Ne reculez pas devant votre énergie. » M. Johannet ne forcera pas les faits pour conclure ; s'il y a lieu, il nous laisse en suspens : c'est le cas pour M. Sorel.

Mais je voudrais, en terminant, lui faire une petite querelle au sujet du ton un peu supérieur (racheté amplement par la suite,, du reste), qu'il prend vis-à-vis de Péguy dans le préambule de son ouvrage. S'il est permis de dire que « Péguy a voulu être un grand écrivain » ainsi qu'il méritait de l'être, l'est-il d'ajouter aussitôt « qu'il n'y a pas réussi » et d'écrire ailleurs qu'il fut « un génie secondaire ». Au regard des classiques d'un autre

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