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LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Les vieilles ont l’air de veuves
Qui se souviennent en pleurant.

Quelquefois envois au Lecteur sont dignes de ceux de Musset, moins alertes, plus pensifs et plus sensibles, en somme charmants. Tout cela laisse tout de même bien loin de soi le Romantisme et la grande Valmore. Seul (avant le Parnasse et le Symbolisme) un poète continue, bien diminuée, la tradition des Grands Maîtres. C’est Leconte de Lisle. Certes il a utilement réagi contre un langage qui se relâchait. Pourtant il ne faut pas le croire trop différent de ce qui l’a précédé. Petit jeu ; voici deux vers :

La neige tombe en paix sur tes épaules nues

et :

L’aube au flanc noir des monts marche d’un pied vermeil.

Hé bien le premier, très Leconte de Lisle, est d’Alfred de Musset dans la Coupe et les Lèvres. Et le second est de Leconte de Lisle dans son plus ravissant poème peut-être, la Fontaine aux Lianes. Leconte de Lisle a épuré la langue, l’a purgée de toutes les sottes métaphores pour lesquelles il était impitoyable. Mais lui-même a usé (et avec quel bonheur !) de l’ « aile du vent ». Ailleurs c’est le « rire amoureux du vent », les « gouttes de cristal de la rosée », la « robe de feu de la terre », la « coupe du soleil », la « cendre du soleil », le « vol de l’illusion ».

Je l’ai vu écoutant d’un regard sarcastique les plus belles pièces de Musset, or il n’est souvent lui-même qu’un Musset plus rigide mais aussi déclamatoire. Et la ressemblance est quelquefois si hallucinante que j’avoue ne pas arriver à me souvenir si

Tu ne sommeillais pas calme comme Ophélie

que je suis pourtant persuadé être de Leconte de Lisle, n’est pas de Musset, tant cela ressemble à un vers de ce dernier. Leconte de Lisle, sans préjudice des images des