saient du commun ; me précipitant au contrôle je versai tout l’argent que j’avais en poche, pour des suppléments qui nous permissent de regagner mon niveau. Il faut dire aussi que, pour une fois que j’invitais Armand, je souffrais de ne pas lui offrir le meilleur.
Donc, au jour de l’Epiphanie, Madame Bavretel conviait les amis d’Armand à venir « tirer les rois ». J’assistai plusieurs fois à cette petite fête ; pas chaque année pourtant, car à ce moment de l'hiver nous étions plus volontiers à Rouen ou dans le Midi, qu’à Paris ; mais je dus y aller encore assez tard, car je me souviens que cette bonne Madame Bavretel me présentait déjà comme un auteur illustre aux autres jeunes gens, tous plus ou moins illustres eux aussi. Evidemment, l’arrière souci du problématique avenir de la jeune sœur n’était pas absent de ces réunions. Madame Bavretel pensait que parmi ces jeunes célébrités un parti s’offrirait peut-être, et cette préoccupation, qu’elle eût voulu dissimuler et désavouer presque, était au contraire brutalement mise en lumière par la cynique intervention d’Armand, qui profitait du jour des rois pour se permettre les allusions les plus directes et les plus gênantes ; c’est lui qui taillait les parts du gâteau, et, connaissant la place de la fève, il s’arrangeait de manière à ce qu’elle échût à sa sœur ou à l’éventuel prétendant. En l’absence d’autres jeunes filles, force était de la choisir pour reine. Mais alors, quelles plaisanteries ! Certainement Armand souffrait déjà du mal bizarre qui le porta quelques années plus tard à se tuer. Je ne puis m’expliquer autrement l’acharnement qu’il y mettait ; il n’avait de cesse que sa sœur ne fût en larmes, et, si les mots n’y suffisaient pas, il s’approchait pour la brutaliser, la pincer. Quoi ! la détestait-il ? Je crois qu’il l’adorait au contraire, et qu’il souffrait pour elle de tout, et aussi de ces mortifications qu’il lui faisait subir, car il était de tendre nature et nullement cruel ; mais son obscur démon se plaisait à détériorer son amour. Avec nous Armand était verveux, sémillant, mais toujours ce