Aller au contenu

Page:NRF 16.djvu/79

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE 73

de Dante est suivi du Paradis. Et la sagesse consiste bien à reconnaître que nos véritables ennemis sont en nous, que notre grand triomphe consiste à les vaincre. Seulement quelques indications et quelques pages ne sauraient enlever son caractère à tout un livre, lldet meliora, détériora sequHiir. Clcramhanli est manifestement rempli de colère et de haine. M. Rolland aurait pu écrire un pendant à VAuhc ou à la Nouvelle Journée et faire de son émigration en Suisse le principe d'une Croix-Rouge intel- lectuelle. Il a préféré nous donner un pendant à la Foire sur la Place, qui n'est pas la meilleure partie de Jean-Christophe. Il a fait œuvre d'indignation, mais d'indignation contre qui ? Contre la forme de société d'où est sortie la guerre européenne, c'est-à- dire, après tout, contre la nature humaine telle qu'elle a existé jusqu'à présent, puisque jusqu'ici les nations se sont toujours battues. Tant que cette indignation s'adresse à cette nature humaine, elle est du ressort du prédicateur et du moraliste, elle relève de Montaigne, de Pascal, de la Bruyère, de leurs succes- seurs, de chacun de nous en tant qu'il philosophe. Mais philo- sopher appartient à peu d'hommes, et l'indignation générale cède d'ordinaire la place à une indignation particulière. La guerre canalise cette indignation contre l'ennemi, qui figure l'injustice. L'auteur de Cléramhault et le héros de son livre prétendent s'in- digner contre leurs compatriotes, contre leur patrie, qui figurent aussi l'injustice. Et il est exact qu'il n'y a pas d'existence indivi- duelle ou nationale sans injustice. L'injustice appartient à la nature humaine, et c'est bien arbitrairement que Clérambault et M. Rolland en placent la source dans l'existence des nations :

« Le foyer du mal était l'idée de nation. On ne pouvait tou- cher à ce point envenimé sans faire hurler la bête. Clérambault l'attaqua sans ménagements. » Et on nous cite ses articles : « Ou'ai-je à faire de vos nations ? Vous me demandez d'aimer, de haïr des nations ? J'aime, ou je hais des hommes. lien est, dans chaque nation, de nobles, de vils, de médiocres. » Cléram- bault est un homme qui vit dans un pays en guerre pour son existence, et qui a complètement perdu le sentiment de la patrie. Et M. Rolland n'a nullement dissimulé le caractère tragique de cette situation : « Comment consoler les hommes « quand on ne croit pas à l'idéal qui les fait vivre et qui les tue ? — La réponse depuis longtemps cherchée lui était venue maintenant, sans

�� �