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RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE 77

profit du fanatisme anti-national. Tous les personnages qui incarnent le patriotisme, qui ont en 1914 et 191 5 ce qu'on pourrait appeler le sentiment obsidional, sont représentés par M. Rolland comme des idiots, des scélérats, ou des consciences pourries. On ne trouve pas dans son livre cette honnêteté, ou plutôt cette adresse élémentaire, qui, dans les romans à thèse de M. Paul Bourget, fait professer par des gens aussi honnêtes que possible les idées que l'auteur considère comme erronées. Adresse élémentaire, précisément parce qu'elle oblige l'auteur à penser et à construire difficilement, à faire épouser cette diffi- culté par la réflexion du lecteur, à remonter et à faire remonter ime pente (ou tout au moins à en avoir et à en donner l'illu- sion, et il n'v a pas d'art sans artifice). Il est vrai que M. Rol- land se place à un autre point de vue : quand un bateau, dit-il, menace de couler parce que tous les passagers se portent d'un côté,, il ne faut pa.'s se mettre au milieu, mais de l'autre côté ; et on ne rend droit un bâton qu'en le courbant en sens contraire. Soit. Mais un livre est un livre et non une action. Un livre fanatique, en dégoûtant les honnêtes gens de son fanatisme, fera les affaires du fanatisme concurrent, ou tout au moins conduira ces hon- nêtes gens au scepticisme, ou à l'indifférence. — Les honnêtes gens dont vous me parlez, j'appelle cela les médiocres et le trou- peau, et il n'y a d'humanité vraie que dans ceux que vous appelez les fanatiques. — Je l'admets. Mais un fanatisme ne peut pas se juger à ses fruits de pensée : il n'en donne aucun. Il ne peut se juger qu'à ses résultats pratiques. Le fanatisme que flétrit Clcraiiihaiill a sauvé littéralement de la destruction la France de 19 14 à 19 18. — Il l'a perdue avant 19 14 en la conduisant à la guerre, il la perd aujourd'hui en y perpétuant l'esprit de haine. — Pardon. CAcranihaitll est VHistoire d'une conscience libre pendant la guerre, et non avant ni pendant la guerre. Il est le sermon du maître d'école à l'enfant qui se noie. Il est beau et honorable à un maître d'école d'enseigner la prudence aux enfonts, mais en temps et lieu, vous même n'avez pas publié Cléranihaull pendant la guerre. C'est aujourd'hui seulement que le temps de la conscience libre vous paraît revenu, et que le maître d'école démobilisé peut reprendre ses classes. En quoi nous sommes d'accord.

Le temps de la conscience libre est revenu, et c'est un fait

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