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136 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

m'ont point honoré de leurs bontés ; mais elles ont à la lettre occupé toute ma vie. A elles ont succédé mes ou- vrages \ » Et il ajoute : « Dans le fait, je n'ai eu que six femmes que j'ai aimées » ; et si l'on ne veut compter que les « succès », on est forcé de ramener ce chiffre à quatre. Pour quelqu'un qui faisait du plaisir la grande af- faire de sa vie, il faut avouer que c'est peu. Ceci s'explique : car sans doute Stendhal n'était guère séduisant ; physi- quement du moins. Il ne s'}^ méprend pas. « Heureu!x, écrit- il, j'aurais été charmant. Non pas parla figure assurément et par les manières, mais par le cœur, j'eusse pu être char- mant pour une femme sensible ». Mais, à cet âge où, plein de flamme, il. semble qu'il aurait pu le mieux séduire, il ne connaît que rebuffades ; il avoue : « J'ai donc passé sans femmes les deux ou trois ans où mon tempérament a été le plus vif » .

Non seulement Stendhal a connu par lui-même cette dissociation de l'amour et du plaisir ^, mais il sait fort bien que l'excès de l'amour peut aller jusqu'à l'inhibition, sinon proprement du désir, du moins des réflexes physiologiques qui nous mettent à même de le satisfaire. Dans un dernier chapitre de l'Amour, après avoir noté cette phrase de Mon- taigne : « Ce malheur (le « fiasco ») n'est à craindre qu'aux entreprises où notre âme se trouve outre mesure tendue de désirs et de respect » ... il ajoute : « S'il entre un grain de passion dans le cœur, il entre un grain de fiasco possible ».

Or l'amour-propre d'Octave ne supporte pas l'idée du fiasco ; que son iinpuissance soit incurable ou passagère, il pressent bien que, s'il est une femme au monde incapable

1. Arniance, comme ses livres précédents, fut écrit pour se consoler et se distraire d'une sorte de désespoir amoureux, sitôt après l'aban- don de Madame Curial (cette Clémentine, qu'il appelle souvent « Mento ») — « désespoir où je passai les premiers mois de cette année fatale » (1826), nous dit-il.

2. Le 25 février 1828, il écrit, en note du chap. xvii d'Armance : « Je relis ce chapitre, qui me semble vrai ; et pour l'écrire, il faut l'avoir senti. »

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