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154 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Elle ne dégénérait pas de sa race, étant taillée comme une cariatide, pourvue de seins admirables et, en général, d'ornements plantureux. Homme de toutes les conquêtes, Raphaël entreprit aussitôt de lui faire sa cour. La géante souriait d'attendrissement. Raphaël avait l'air d'un pygmée assiégeant une forteresse. Et Thierry, versé dans les sciences naturelles, évoquait, à contempler nos amou- reux, ces espèces animales étranges dans lesquelles le mâle est si réduit qu'il vit normalement en parasite sur sa femelle, et, dès la saison des amours, émigré vers le bon endroit. Heureusement la belle Léné n'entendait rien à notre langue et, quand il est amoureux, Raphaël n'offrç plus prise à la plaisanterie.

Ce fut une bien belle soirée. Je n'en dirai rien de plus, car là n'est point l'objet de mon récit. Je laisserai pareille- ment dans l'ombre et L'oubli la couchette bizarre où j'achevai la nuit en compagnie de notre Biel. Cette cou- chette était fort étroite : nous n'y tenions que « de profil » et tous deux sur le même côté. Nous changeâmes de côté quatre fois jusqu'à l'aube et, chaque fois, il nous fallut nous lever : toute évolution sur place ayant été jugée inopérable. Je sommeillais dans les intervalles et, bercé par la voix des torrents, je m'imaginais condamné à dormir en marchant toute l'éternité.

Dès le petit jour, je fus à la fontaine où je plongeai et replongeai une tignasse étrangement sèche et rebelle. Puis, " rafraîchi, je contemplai le paysage.

Kurzras ne comporte qu'une seule niaison, et une église qui fait, pour se dresser au centre du village, des efforts dont le moins qu'on puisse dire est qu'ils sont vains et un peu ridicules.

La maison, notre auberge, est de belles dimensions, comme il convient à ses propriétaires. Un crâne de bœuf en orne la façade, pointant deux cornes flexueuses qui menacent l'horizon. Le crâne est très blanc et poli par les saisons.

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