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ON NE SAURAIT TOUT DIRE 159

devant une petite auberge, sur la place du village. En face de -nous, toutes portes ouvertes, béait une église blafarde entourée d' un cimetière. Le vaisseau de l'édifice était plein d'une ombre brûlante au fond de laquelle pal- pitaient les flammes du chœur. La place du village était déserte et poudreuse. Des chants étranges nous parvenaient parfois dans une bouffée de fœhn.

Nos verres avaient été déjà vidés à plusieurs reprises quand nous nous aperçûmes que l'abbé Kampitsch et Léné Taschachhaus avaient disparu. Au même instant, les chœurs éclatèrent plus proches. Je dis bien éclatèrent : plusieurs centaines de voix humaines furent soudain déchaînées; cela produit un fracas d'explosion.

Les coudes sur la table, le nez dans nos verres, nous demeurions assommés de fatigue et d'étonnement quand la procession déboucha sur la place.

En avant, marchaient les chasseurs et les guides ; ils étaient fort nombreux et n'avaient plus leur air souriant du matin, mais des faces sérieuses, crispées. Ils chantaient, à plusieurs voix, un cantique lent et sauvage.

Derrière eux s'avançaient des prêtres revêtus de leurs parures sacerdotales ; puis venait un baldaquin soutenu par quatre colosses et sous lequel brillaient des pièces d'orfèvrerie ; puis ... oh ! mais voilà qui n'est pas commode à décrire. Imagiriez des bannières, mais des bannières à la hampe robuste, élancée comme un mât de navire, à l'éta- mine développée comme une voilure. Soulevés par les premiers souffles de l'orage, les immenses pans d'étofiies chamarrées se déplo5'aient, tourno3'aient au-dessus de la foule avec des cris, des froissements, des détonations. Des paysans se cramponnaient aux câbles d'or qui permet- taient de maintenir en équilibre ces gigantesques ori- flammes.

Derrière les emblèmes se pressait une multitude bariolée. Hommes, femmes, enfants, tous hurlaient le morne can- tique. Au premier rang, nous reconnûmes l'abbé Kam-

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