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LES AVENTURES DE TÉLÉMAQUE 173

s'échappaient de son front. Calypso le regardait avec un étonnement mêlé de méfiance : le vieillard s'en aperçut, éteignit aussitôt la clarté de son crâne, et prit un air modeste.

« Le temps, continuait Télémaque, nous fut d'abord favorable. Mais tout à coup une noire tempête nous enve- loppa dans une nuit, parfois déchirée par le feu du ciel : c'est à cette lueur fugitive que nous aperçûmes les vaisseaux d'Enée, aussi redoutables pour nous que les écueils. Le trouble du pilote eût empêché toute manœuvre si Mentor, joyeux au moment du péril, n'avait soi-même donné les ordres et pris le gouvernail. Comme je me reprochais amè- rement cette imprudente équipée, comme je jurais à Mentor une obéissance future, cet ami véritable me répondit en souriant : « Le respect que vous prétendez porter à mon expérience, gardez-le pour les coureurs de chars. Je ne vou- drais point vous imposer un si faible artifice pour des sicles de sagesse. Toute expérience se borne à un certain tour d'esprit fâcheux qui fait envisager de préférence l'issue malheureuse des événements. Le masque de la vieillesse, ce n'est qu'un masque comme les autres, un prête-nom, un amusement, une supercherie grotesque de laquelle on devrait rire. Un jour, que nous ayons rendu des honneurs aux têtes chauves ou blanches, fera l'étonnement des hom- mes et se perdra dans l'obscurité des mythes puérils. Mais sans doute à cette époque éclairée du monde, tuera-t-on les nouveaux- nés porteurs d'yeux verts. Le siècle dernier, la jeunesse, le progrès, l'âge mûr, nos aïeux, la modération, l'espoir : autant de mots incompréhensibles qui secouent comme des pruniers les barbes majestueuses des augures. Montrez-vous, Télémaque, le digne fils d'Ulysse et n'ac- cordez qu'une attention passagère à des événements que je n'avais pas mieux prévus que vous-même. »

Lorsqu'il eut prononcé ces paroles, il nous débarrassa des Troyens à l'aide d'une ruse et nous parvînmes à force de rames sur la côte de Sicile. On n'échappe à une illusion

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