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l80 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

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��Sous l'immense hangar sombre, le blessé est une pauvre chose incroyablement sale. Il a tellement perdu l'aspect humain qu'on s'étonne de voir tressaillir cet objet boueux et d'entendre un râle gargouillant sortir de ce trou informe, la bouche certainement. Il n'est pas fort abîmé pourtant et on ne lui voit pas d'autre mal qu'une déchirure du cuir chevelu, large comme la main et cette jambe retournée qui se raccourcit déjà, mais le sang poisseux qui le trempe lie si bien corps et vêtements en une bouillie noirâtre que Ridai qui se penche pour dégager la poitrine se demande s'il tient la veste ou les poumons déchirés. A chaque râle un spasme ondule lentement le long du corps depuis la tête, tache noire de neige fondue (est-il possible que la barbe ait poussé démesurément en cinq minutes ?), pour se ter- miner en une saccade raide de la jambe. Une paupière bleue s'ouvre sur l'œil glaireux et la pupille minuscule et polygo- nale ; secondant l'effort de l'homme ses camarades lui soulèvent le torse : la tête penchée vomit lentement avec des hoquets gras un sang noir et collant, puis parle : « Dou- cement, les enfants — j'ai froid. »

Il ne se voit pas, pense Ridai avec un sourire, il croit être encore un homme.

Tandis qu'il déshabille le blessé et donne des indications précises sur l'emplacement de la boîte de secours et des couvertures, l'esprit de Ridai travaille furieusement ; et cette double activité lui donne un maintien calme et absorbé, très sûr et presque indifférent. Il en a conscience et exa- gère encore la pondération de ses gestes et la lenteur de sa parole, attentif à réprimer le bouillonnement sourd qui le pousse aux actes fébriles et au bavardage ruisselant. Et la présence des hommes matés et silencieux lui est d'un grand secours.

Les images défilent rapidement et sans ordre : l'agent

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