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192 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

simplement qu'on se demandât dans quelle mesure la question pourrait être retournée. Brunetière, qu'on oublie peut-être trop en ces matières, où il a eu des vues si profondes, considérait la période purement classique du wii^ siècle (elle se réduit à un demi-siècle environ) comme une exception heureuse, une sorte de miracle momentané, et un pont précaire jeté sur le grand courant littéraire français qui comprend, dans une même suite, le xvi^ siècle, la première partie du xvn«, le xyiii^ et le xix^. Son pessimisme pugnace ne voyait là qu'une raison d'admirer davantage ce pont, et le grand pontifex, Bossuet. Et il me semble bien que s'il y a eu autour de Rousseau une si vaste explosion d'enthousiasme et après lui une si longue suite littéraire, c'est peut-être moins en raison de ce qu'il nous appor- tait de nouveau qu'en raison de ce qu'il nous rendait d'ancien. Mais ce qu'on ne saurait appeler ancien, ce sont évidemment ses qualités d'artiste, c'est son génie. Et voilà le joint 011 il fau- drait sinon contredire les idées de M. Seillière, justes dans leur fond, du moins les desserrer et leur donner de l'air. Dans son enquête sur la transformation des sentiments et des idées au xviir et au xix^ siècle, il s'attache surtout à des artistes, Rousseau, George Sand, Flaubert, il cherche, comme M. Lasserre, ce que ces artistes ont apporté de nourriture ou de poison à la vie sociale. Et, comme M. Las- serre, il est surtout sensible à la part de poison. Et cela paraîtra légitime, mais il ne faut pas oublier que l'art se suffit à lui-même, constitue un monde total et même un monde fermé, et que ces considérations sur les fonctions, les antécédents et les conséquences sociales, politiques, morales des œuvres, qui forment le tissu d'une partie de la critique, c'est après tout un système commode pour en rejeter au second plan la nature artistique. Je ne veux pas médire de ce système. Nous lui devons une part éminente (je le dis sans ironie) de la critique française, la critique d'enchaînement, de logique et d'idées. Mais il ne faut pas qu'il nous trompe et qu'il nous fasse prendre le secondaire pour le principal. Le principal, dans un écrivain, c'est l'artiste, et ce qui reste d'un écrivain quand on en a éliminé l'artiste, quand on n'en laisse qu'une source ou un carrefour de sentiments sociaux ou d'idées courantes, c'est une abstraction arbitraire qu'on ne doit

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