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RÉFLEXIONS SUR LA LITTERATURE I93

manier qu'avec de grandes précautions. La chaîne des états intel- lectuels et moraux qu'étudie dans l'humanité la philosophie de l'histoire et la flamme que se transmettent l'un à l'autre les grands artistes ont évidemment des points de contact. Elles n'en appartiennent pas moins à deux ordres différents. Rousseau, Chateaubriand, ont été plus que personne employés par la cri- tique à les confondre.

L'habitude de voir surtout dans les œuvres d'art les idées qu'elles représentent devient vite dangereuse et tendrait à corrompre singulièrement le jugement. Lisez, dans le livre de M. Gillouin, les deux chapitres sur Flaubert et sur Stendhal, où il résume librement M. Seillière en le complétant par des réflexions personnelles. L'artifice du procédé apparaît à plein. L'auteur, parlant de deux hommes qui sont avant tout des artis- tes, avance dans un quiproquo perpétuel. « De cette préférence ■ passionnée accordée à la nature ainsi entendue, dit M. Gillouin, Stendhal va tirer toute une morale qu'on peut appeler la morale du beau geste sinon du beau crime. » Et il n'est pas besoin de dire que M. Gillouin condamne cette morale, et Stendhal, et les stendhaliens. Mais je crois qu'il se trompe en pensant que Stendhal « tire toute une morale » de quoi que ce soit. Il en tire de l'art, non seulement de l'art écrit, mais un art de vivre, ce qui est son métier, et qui est fort différent. C'est Faguet, c'est M. Seillière, c'est M. Gillouin, qui se précipitent sur un artiste pour en tirer une morale, afin d'en parler en un domaine .011 ils sont maîtres, et parce que c'est leur métier, comme c'est le métier du commis-voyageur de Nîmes de tirer des gens la commande d'une pièce de Saint-Georges. L'idée stendhalienne delà virtu, de ce que M. Gillouin appelle le beau crime, c'est une idée d'artiste, une idée qui n'a jamais déterminé le moindre crime, mais qui a engendré chez des gens fort pai- sibles comme vous et moi tels et tels sentiments artistiques, dont nous n'avons tiré ni notre morale, ni une morale.

M. Gillouin lui-même reproche ailleurs à M. Seillière d'avoir vu dans l'homme un être simple, alors qu'il est plus probablement double. Et l'homme moderne est en eftet beaucoup plus capable qu'il ne semble le croire de vivre, à certains moments, sur un plan esthétique, séparé du plan des intérêts ou du plan moral. M. Gillouin, ayant vu représenter

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