Page:NRF 17.djvu/210

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

204 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

gloire, à Bonaparte et à Stendhal, à Soi ; au dehors comme au dedans, il « vit sa vie ». A dater des Déracinés 'û vit la vie de la nation ; là seulement vont s'affronter ses deux natures. Il aura certes fort à faire pour réduire le fantaisiste, le poète, l'aventurier. Afin de s'en mieux convaincre lui-même il va exagérer ses nouvelles convictions. Ceci explique un ton par- fois agressif, des thèses bruyantes, le fameux « blasphème sur l'Acropole» qui scandalisa tant, qui n'a pas fini de scanda- liser et devant lequel M. Thibaudet résume judicieusement le point de vue de l'humaniste : « A Athènes, je ne me connais que comme un homme civilisé et dans la France de 19 14 que comme un homme mobilisé. Il me semble que le propre de l'intelligence est précisément de poser ces limites et de remplir ces cadres. » Mais justement ! Barrés n'est pas un intellectuel pur, c'est un poète ; un poète-essayiste détaché au serviee de la nation. De la même façon qu'il sait animer dans ses rêveries de belles cadences gratuites sur Venise et Tolède, de la même façon dans le cœur des foules il fait chanter les grands thèmes sauveurs. On ne le discute pas ; on l'épouse ou on le rejette : on aime ou non sa musique intérieure et on répond ou non à son appel public : c'est affaire de goût et de sentiment, non proprement d'intelligence : tout le contraire de Maurras, bien qu'ils se retrouvent au point menacé. Dans la confession et l'invective, dans le jeu et dans le devoir, dans le voyage, dans la guerre civile, dans la grande guerre, pour charmer ou pour avertir, c'est d'abord une voix, une belle et grande voix, sub- tile et chaude, qui entre dans le monde pour saisir et porter les cœurs. Vous me parlez de sa doctrine ? Un chant, rien qu'un chant ; c'est assez.

Je refuse donc, quant à moi, de suivre ses contradicteurs sur le terrain où ils m'attirent. J'accorde à Thibaudet qu'il y a en Barrés « des puissances de coordination inférieures aux puis- sances de réception ». Mais cela justifie ma thèse. Discuter par exemple la question du déracinement, c'est selon moi perdre son temps ; car l'homme en aucun cas ne saurait être assimilé exactement à une plante et quant à la plante elle-même, il s'agit de se demander si le sapin des neiges gagne jamais à être transplanté sous l'Equateur et le palmier aux environs du pôle. L'image vaut ce que vaut toute image et elle exprime

�� �