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NOTES 375

d'être bouffon. Si nos conservateurs répètent Tennyson, Dickens, ou Anacréon, nos radicaux en font autant de Wells ou de Bennett, et nos dadaïstes, à travers quelque écrivain anglais plus accessible, copient Flaubert, Schnitzler, Rimbaud ou Verlaine. Cette loi, à savoir que l'art est pareil à une plante qui se nourrit et croît, leur échappe à tous également. Si bien qu'au lieu d'une alimentation convenable qui se transforme en leurs propres tissus, ils ingurgitent au hasard et se détruisent eux-mêmes. L'Amérique est pleine aujourd'hui de créateurs dyonisiaques lesquels, au moyen d'un stupéfiant appareil à technique multiple, débitent à un public blasé de mornes et tades répliques de ce que l'Europe a produit au xix^ siècle.

Que pareilles denrées encombrent les marchés où s'approvi- sionne un public en mal d'émotions, passe encore. Mais que notre critique suive tous les vents de la mode, est plus grave. Quand l'artiste ignorant reste inférieur à la sculpture des Mayas ou à la céramique péruvienne, il a du moins l'excuse d'obéir à une vague inspiration lyrique : au lieu qu'un critique ignorant obéit à sa seule bêtise. Certes nous ne manquons pas, à l'heure actuelle, de critiques, en même temps hommes de goût. Combien sont munis de l'arme à deux tranchants néces- saire à leur fonction, je veux dire de ia connaissance du milieu, et du courage de parler? Combien, parmi ceux-là même qui mesurent la distance de l'œuvre de beauté à ces monstrueuses fumées, à ces flatteuses élucubrations de la mode et d'une fan- taisie passagère, seraient prêts à encourir les huées et les risques d'une querelle ? La controverse, jeu cher aux critiques des pays européens, est pour ainsi dire inconnue aux Etats-Unis où celui qui sait a bien trop peur pour parler.

Nos journalistes, en tous cas, ignorent ces scrupules, et montrent la belle assurance de la plus complète ineptie. Et ce sont eux, des ignares sans culture, qui régentent l'opinion à New- York. Les dernières années m'ont instruit de ce qui est, sans doute, une vérité vieille comme le monde, mais qui était pour moi d'une amère nouveauté : les plus intelligents ne sont pas toujours ceux qui mettent le plus de zèle à défendre ou à exposer leurs convictions, et les meilleurs esprits sont souvent les plus veules et les moins généreux. Oh ! l'on n'achète pas notre critique comme celle d'Europe ! Mais la question se pose

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