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454 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

LA SOCIÉTÉ DES MARCHANDS

L'échange crée des liens forts. L'activité de la plupart des hommes se passe en marchandages. Et, quoique mar- chands et acheteurs semblent vouloir se tromper les uns les autres, l'un feignant de n'être pas pressé de vendre et l'autre de n'avoir pas besoin d'acheter, on se tromperait beaucoup en considérant comme une sorte de vol l'opé- ration heureuse qu'ils espèrent l'un et l'autre. Le vol et le voleur sont parfaitement définis par l'acte de prendre le bien d'un homme sans qu'il y consente, soit qu'il ignore, soit qu'il soit forcé. Au contraire c'est le consentement qui termine tout marché. Et le consentement se donne presque partout selon des formes ; je ne vois point que les plus rusés marchands discutent jamais là-dessus. Les engagements écrits sont plutôt pour faire foi auprès des autres ; mais entre deux hommes qui échangent, le consen- tement bien clair achève le marché. Même les marchan- dages paysans, les plus longs de tous, et qui feraient rire par les fausses ruptures, les délibérations, les retours, sont eux-mêmes de forme, comme faisant mieux paraître le libre consentement. C'est comme un étalage de saine raison et de pleine liberté.

La publicité des marchés est une institution aussi an- cienne que le commerce, et qui fait voir une profonde sagesse. Quand le cours s'établit par des marchandages, qui sont comme des enchères diffuses où chacun limite pru- demment les concessions, c'est comme si chacun prenait conseil de tous, et s'assurait d'avance d'être approuvé par tout homme raisonnable. Cette rumeur des marchés sonne bien aux oreilles. Non que l'imagination ne tende ses pièges ici comme partout. Chacun connaît les paniques qui poussent soit à vendre à tout prix, soit à acheter à tout prix. Mais ces accidents, souvent décrits, ne doivent point faire oublier la stabilité des prix et la sécurité de

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