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écrivait ses Souvenirs de la Maison des Morts ; la vie des forçats lui paraissait un cauchemar ; mais il suffisait d’enlever les chaînes, d’ouvrir les portes de la prison et l’homme serait libre et la vie atteindrait sa plénitude. Les yeux de Dostoïevsky le lui certifiaient, ainsi que tous ses autres sens, et même la « divine » raison. Mais voilà que contre tous ces témoignages un autre se dresse, qui les détruit.

Dostoïevsky ne pouvait repousser le don qui lui avait été fait, de même que nous ne pouvons repousser les cadeaux de l’Ange de la Vie. Tout ce que nous possédons, nous le recevons, on ne sait de qui, on ne sait d’où. Tout cela nous a été octroyé, avant même que nous ayons eu le pouvoir de poser des questions et d’y répondre. La seconde vue fut donnée à Dostoïevsky, qui ne la demandait pas, d’une façon aussi inattendue, aussi subite que la première.

Dostoïevsky découvrit brusquement que le ciel et les murs de la prison, les idéals et les chaînes ne se contredisent nullement, comme il le voulait, comme il le pensait auparavant, quand il voulait et quand il pensait comme tous les gens normaux. Ils ne se contredisent pas, parce qu’ils sens la même chose. Il n’y a pas de ciel, il n’y a de ciel nulle part, il n’y a qu’un horizon bas et borné. Il n’y a pas d’idéals, il n’y a que des chaînes, invisibles, il est vrai, mais qui maintiennent l’homme plus solidement encore que les fers.

Nul acte d’héroïsme, nulle « bonne œuvre » ne peuvent ouvrir devant l’homme les portes de ce lieu de « détention à perpétuité ». Les vœux qu’il avait formés au bagne lui parurent alors sacrilèges. Il se produisit en lui à peu près ce qui était déjà arrivé à Luther quand il s’était souvenu avec horreur des vœux qu’il avait prononcés en entrant au couvent : Ecce ! Deus, tibi voveo impietatem et blasphemiam per totam meam vitam.

C’est cette « vision » nouvelle qui forme le thème de