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Mais dans le « souterrain » une vérité nouvelle lui apparut : ces principes n’existent pas et la loi de la raison suffisante qui est à leur base n’est qu’une suggestion de l’homme qui adore sa propre limite et se prosterne devant elle.

« Devant le mur, les gens simples et les gens d’action reculent très sincèrement. Ce mur n’est pas pour eux ce qu’il est pour nous, une excuse, un prétexte pour se détourner du chemin, prétexte auquel nous-mêmes souvent n’ajoutons pas foi, mais dont nous sommes très heureux de profiter. Non, ils reculent de bon cœur. Le mur a quelque chose de tranquillisant pour eux, de moral, de définitif, quelque chose même de mystique, peut-être... Eh bien, c’est justement cet homme simple que je considère comme l’homme normal, tel que l’avait voulu voir la tendre mère nature, quand elle le faisait aimablement naître sur la terre. J’envie au moins cet homme. Il est bête, je ne discute pas, mais il se peut que l’homme normal doive être bête, qu’en savez-vous ? Il se peut même que ce soit très beau. »

Réfléchissez à ces paroles ; elles valent la peine qu’on y réfléchisse. Ce n’est pas un paradoxe irritant, c’est une admirable intuition philosophique. Comme toutes les pensées nouvelles de l’homme « souterrain » elle prend la forme d’une question, non d’une réponse. Et puis, il y a cet inévitable « peut-être » qui semble mis là tout exprès pour transformer les réponses naissantes en questions nouvelles auxquelles il n’y aura plus de réponse à faire : il se peut que l’homme normal doive être bête ; il se peut que cela soit même beau ; toujours ce « peut-être » qui affaiblit et discrédite la pensée, cette clarté douteuse, clignotante, insupportable pour le sens commun, qui détruit les contours des objets, efface les limites entre les choses, à tel point qu’on ne saisit plus où finissent les unes, où commencent les autres ; on perd toute confiance en soi-même, tout mouvement vers un but déterminé devient impos