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24e LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

QUATORZE DÉCEMBRE, par Dmitri Mérejkawsky, traduit par Michel de Granimt (Bossard).

Deux hommes semblent coexister en Dmitri Mérejkowsky : l'artiste intuitif, le créateur et le théoricien dogmatique, le rai- sonneur. C'est l'impression que produisent tous ses romans, à commencer par Julien l'Apostat, le premier, pour finir par Quatoric Décembre dont la traduction française vient de paraître. Ces deux hommes s'opposent et se combattent ; et c'est tantôt l'un, tantôt l'autre qui triomphe. Quand l'artiste réussira se débarrasser du contrôle tatillon et de l'emprise du théoricien et parvient à lui imposer sa libre fantaisie, Mérejkowsky nous donne alors d'excellentes pages, pleines de grâce, de naturel, écrites dans une langue alerte, expressive. Mais ce ne sont, hélas ! que des pages, pas même des chapitres, car le plus sou- vent c'est le théoricien raisonneur qui domine : son action des- séchante se manifeste non seulement dans le plan général de l'oeuvre, dans le dessin des caractères, mais jusque dans les des- criptions et les plus infimes détails.

Quatorze Décembre marque sous ce rapport la complète défaite de l'artiste (défaite non irrémédiable, espérons-le), qui ne réussit à faire entendre sa voix que trois ou quatre fois au cours de ce roman de quatre cents pages. Seul résonne le reste du temps le verbe autoritaire et coupant du théoricien religieux et social, qui dirige les mouvements, les paroles, les pensées de ses personnages, tel un caporal son escouade.Le début du roman produit une excellente impression et autorise les plus radieux espoirs : l'éveil de l'amour entre le prince Galitzine et Marie Tolytcheva qui deviendra plus tard sa femme, leur voyage en diligence, le portrait de la jeune fille, bien qu'un peu appuyé (on saisit trop facilement l'intention symbolique de l'auteur), tout cela est du bon Mérejkowsky. Mais le plaisir est de courte durée, le rideau est rapidement tiré, et pour longtemps. Pas un être \nvant parmi tous ces personnages : révolutionnaires décem- bristes, généraux, courtisans; tous, et Nicolas I lui-même ne sont que des marionnettes dont on distingue facilement les ficelles, et l'armature. Dmitri Mérejkowsky veut être son propre commentateur ; il craint de laisser un doute quelconque au lecteur ; il ne veut lui permettre aucune initiative, aucune

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