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326 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

ment écrit, la figure d'une petite femme toute charmante et bonne, qui ne vit que pour le plaisir, ne respire que le plaisir, et le jour où cet air respirable lui manque, brusquement tari par la mort de celui qui incarnait pour elle le plaisir définitif, meurt de la plus inévitable asphyxie. Ce petit changement de point de vue, cette présence du plaisir, aussi volontaire et méthodique chez l'auteur qu'elle est libre et spontanée chez son héroïne, suffisent pour donner une figxire nouvelle au plus traditionnel thème du roman français. Ainsi l'auteur de Valentine Pacquanlt n'avait pas eu de peine à écrire une Bovary plus âpre et plus char- nelle. Pour M. Chérau le corps de la femme prenait un poids de fatalité, tandis que pour M. Beaunier il ne comporte qu'une pente de plaisir, — une pente par laquelle s'écoulent et s'éteignent son âme et sa vie. Et, tout autour, M. Beaunier a mis en place les touches, les harmoniques voluptueuses qui donnent au livre ses fonds, ses valeurs, son unité. Ce livre eût été un peu frêle pour porter le titre lourd de Roman du Plaisir, ou simplement celui de // Piacere de d'Annunzio. Suzanne et le Plaisir fait un titre qui nous met de plain-pied avec sa fragilité, sa grâce et ses demi-teintes.

Mais ce roman sur le plaisir, pourquoi M. Beaunier (et sans doute aussi tout écrivain avisé) lui donne-t-il pour sujet une femme et non un homme ? L'homme est après tout aussi ardent et aussi naïf que la femme dans la recherche du plaisir. Peut-être plus : la langue n'a pas d'équivalent féminin du terme de viveur. Et, quels que soient les accommodements avec le ciel de lit, l'homme connaît mieux, évidemment, le plaisir de l'homme qu'il ne connaît le plaisir de la femme. L'homme de plaisir a d'ailleurs fourni son contingent littéraire au roman et au théâtre. M. Lavedan en a fait de façon abondante et amu- sante la physiologie, depuis Viveurs et le Fienx Marcheur jus- qu'à la série des Leur. Lucien Mùhlfeld écrit sur ce thème une jolie et adroite Carrière d'André Tourette.Mzis voici la différence.

L'homme a toujours écrit le roman du plaisir de l'homme sur un ton railleur, désenchanté, parfois envieux. L'écrivain s'ingénie à reconnaître et à révéler les tares, les faiblesses, les sottises de l'homme de plaisir. Il l'étudié en le méprisant ou en le détestant, en voulant faire partager ce sentiment au lecteur. Le plaisir, épousé sympathiquement par l'auteur, intéressera peu.

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