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CHRONIQUE DRAMATIQUE - 333

qu’on aime, on devient quelquefois très bon. Le sujet est celui-ci : un homme de cinquante ans, très riche, a épousé une jeune femme de vingt ans, qu’il adore et dont il est l’esclave. Cette jeune fille aimait un jeune homme et en était aimée, mais a préféré un mariage qui lui donnait une existence heureuse. Un jour qu’elle reçoit, elle se retrouve en face du jeune homme en question. Il n’est pas de phrases que celui-ci ne lui débite alors pour lui évoquer le passé, lui rappeler leurs projets, lui dire qu’il n’a rien oublié et qu’il ne peut vivre sans elle. A ce propos, quand nous débarrassera-t-on, au théâtre, de ces scènes d’amour, les mêmes dans toutes les pièces, et presque avec les mêmes mots : « Vous rappelez-vous ? C’était un mardi. Vous aviez une robe mauve. Vous teniez des fleurs à la main. J’étais venu voir votre mère. Votre beauté rayonnait sur tout. Dès ce jour, j’ai senti que je vous appartenais. Votre image ne m’a pas quitté. Vous étiez toute ma vie. » Encore n’est-ce pas aussi bref. Au contraire, un lyrisme, des métaphores, un bavardage... Quand on entend cette scène en moyenne deux fois par semaine, pendant six mois de l’année, depuis quinze ans environ, je vous assure qu’on finit par la trouver un peu béte. La jeune femme proteste, naturellement. Puis, non moins naturellement, elle fait sa partie dans ces admirables couplets et les deux soupirants deviennent amants. L’histoire est bientôt connue de tout l’entourage. Seul le mari l’ignore. Il semble du moins qu’il l’ignore. Son frère la lui découvre avec ménagements. Surprise : on ne lui apprend là rien de neuf. Il sait tout depuis le premier jour. S’il n’a rien dit, c’est qu’il adore sa femme. Il se rend compte qu’il est pour elle un vieil homme. L’autre, elle l’aime et cet amour est pour elle son bonheur. Comme la voir heureuse compte pour lui plus que tout, il se tait. S’il parlait, il la perdrait peut-être. En se taisant, il a au moins la joie de la voir, de l’entendre, de la tenir quelquefois dans ses bras. Mais personne ne peut savoir ce qu’il a souffert, ce qu’il souffre encore. M. Arquillière a été très bien dans cette scène humaine et généreuse, dans laquelle la raison l’emporte sur l’instinct. Ce mari pousse même l’amour et le sacrifice à ce point : il va trouver l’amant, lui explique qu’il va divorcer et le met en demeure de choisir : épouser sa maîtresse, ou recevoir une balle dans la tête. L’amant, qui a une autre histoire en train avec une riche