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NOTES '351

l'a vu naître ; avec un rien de souvenirs — toujours le simple prétexte — beaucoup d'observation et d'imagination, autant d'artifice, et encore plus d'art, M. Cazin l'a composé. Et c'est pour cela qu'il esr vrai. Il n'est rien de pire que la mémoire pour déformer les vérités anciennes. Mais alors ce n'est là que de la littérature ? C'est de la littérature, et l'on aime assez cela dans les livres. Je préfère l'émotion qui crée et l'art qui en ordonne les propos, à l'art qui s'évertue à créer une émotion sous prétexte de la ressusciter, verse le présent dans le passé, fausse l'un et déforme l'autre, introduit partout le désordre.

LOUIS MARTIN-CHAUFFIER

LE PONT TRAVERSÉ, par Jean Paalhan (Camille Bloch).

Il y a un, drame du langage. Qu'on n'en ait pas discerné l'importance et le pathétique depuis sept mille ans qu'il y a des hommes et qui pensent — donc qui parlent • — • comment n'en être pas confondu ? Tous les rapports sociaux sont fondés sur le langage. Il stipule les conventions et les lois, cristallise les poèmes. Il est chargé de signifier. Comment ce serviteur de l'humanité avait-il pu jusqu'ici éviter tout contrôle et toute vérification de ses services ? Il avait trop su, c'est certain, se faire aimer pour lui-même. Mallarmé lutta pour le tirer de son rôle subalterne et lui confier toute gratuité d'action. Mais ce rôle subalterne le tenait-il avec fidélité et ne s'était-il pas désen- chaîné tout seul, jusqu'à régenter ses chefs hiérarchiques. Pensées et Sentiments ?

On se rendit enfin à l'évidence. Quelques années avant la guerre, le langage était dénoncé comme il le méritait. Les pamphlets lancés contre lui par Le Spectateur de 191 3 n'ont pas été vains. On vit que les trahisons de ce traducteur infidèle dépassaient les malfaçons et allaient jusqu'à se substituer à la pensée, jusqu'à l'asservir aux mots. Toute réforme intellec- tuelle, morale et sociale devait commencer par une réforme du langage, et peut-être s'5^ réduire.

Ceux qui voient en Jean Paulhan un épigone de Freud oublient, ou n'ont jamais su, qu'il appartenait au groupe du Spectateur, que la guerre a dispersé. Il en est resté le mainte-

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