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354 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

trouver la force de guérir sa grippe espagnole, malgi-é les soins de Juliette ? C'est qu'il avait trompé Juliette avec Simone et que ce secret, avec son fardeau de sentiments et d'images, occupait tout son esprit. A peine a-t-il laissé découvrir par Juliette les lettres de Simone, qu'il s'achemine vers la guérison. Toute la charge de sentiments et d'images qui l'encombraient a été transférée à Juliette par les simples mots révélateurs contenus dans les lettres de Simone.

, Pourquoi le sergent Aytré, qui a tué dans un village mal- gache M"^ Chaulinargues, Européenne, révèlera-t-il son crime ? Simplement parce que les mots trahiront sa pensée à la dérive et que le carnet de route — à lui confié par l'adjudant, chef de convoi, — dévoilera l'aspect imprévu pris par le monde à ses yeux depuis le jour de son crime, aspect imprévu' qu'il exprime par des séries de questions et des projets de réforme. Ici les mots jouent un rôle actif de dénonciateurs.

Enfin, dans le Pont Traversé, c'est le drame même de l'inter- communication des êtres qui est traité. La femme a quitté l'homme en lui reprochant de ne point assez se faire connaître : « Tu expliquais : je ne parlais pas assez, je ne me livrais pas. » Trois jours plus tard, l'homme est décidé à faire les premiers pas vers la réconciliation. Le pont qui séparait les deux amants se trouve ainsi traversé. Ce que cette décision coûte à l'homme, les sentiments qui l'agitent pendant ces trois jours, voilà toute la matière du récit, exposée sous la forme d'une succession de rêves — trois par nuit pendant trois nuits — sobrement com- mentés. Pourquoi ces rêves plutôt qu'une analyse suivie ?

C'est que ce procédé d'exposition permet de montrer avec une pleine liberté les images victorieuses des pensées et des sentiments, puis vaincues par eux. Il \ a des rêves où la sur- abondance des images va jusqu'à étonner le rêveur : « Il est étrange, écrit Paulhan dans le commentaire du troisième rêve de la première nuit, que l'on prenne, étant seul, tant de précau- tions et d'images pour se parler. »

Résumer ces rêves, ce serait presque les supprimer. Il faut avoir la patience d'en suivre tous les méandres, sans jamais s'irriter de leur lenteur. Peu à peu, presque tout s'éclaire et ce qui reste dans l'ombre, c'est que nos yeux n'ont pas su l'en faire sortir. Toute la première nuit est donnée au remords et à

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