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NOTES - 367

rallier au mot d'ordre. Eux aussi se sentaient chargés d'une mission, la plus importante peut-être de toutes celles qui cons- tituaient la grande mission allemande. Ils eurent leur politique du livre, celle dont Fischer de Berlin fit un exposé si curieux dans son catalogue de 191 1. Dans l'esprit de cet éditeur dont la maison était depuis vingt-cinq ans le quartier général des jeunes, il ne s'agissait plus seulement de lancer au petit bon- heur l'ouvrage qui doit réussir, l'auteur qui mérite de percer, ou de faire sa fortune avec celle d'un cénacle. L'éditeur moderne devait être, sinon le créateur de valeurs nouvelles dans le domaine de l'esprit, du moins l'organisateur de leur marché, le banquier qui use de son crédit pour leur donner cours.

Dans la bourse aux idées on le vit en effet déterminer des courants, imprimer des directions. Choix des auteurs, qu'il groupait de façon à créer une atmosphère, collections à bon marché établies en vue d'une action pédagogique, présentation du livre dans le goût (gothique, ou français ou anglais) que l'on voulait faire prévaloir, suggestions et conseils au lecteur, recettes pour se cultiver, autant de moyens de former la clien- tèle. Le procédé réussit, s'adressant à des gens dociles, avides de se former, impatients de ne plus passer pour « les barbares d'autrefois », et d'autant mieux prêts à admirer l'idéal de culture qui leur était proposé qu'ils en étaient plus éloignés. Ainsi à chaque nouvelle entreprise de librairie une école s'ouvrait pour l'éducation en masse d'un peuple demeuré enfant.

Un trait était commun à ces tentatives de civilisation : la recherche de ce qui est allemand. Comme il est naturel à un pays qui n'est pas fait encore, qui demeure sans unité profonde, des tendances contradictoires s'affirmèrent. Néanmoins, et c'est un point important, Fischer en particulier réussit à mettre un lien entre des intellectuels venus des quatre coins de l'Alle- magne. Gerhai't Hauptmann, Thomas Mann, Dehmel, Alfred Kerr, Rathenau, pour ne citer que ceux-là, se présentaient comme une sorte de bloc fondu au creuset berlinois. La capitale de l'Empire devenait capitale dans le domaine des idées aussi, des impulsions en partaient qui allaient jusqu'à la périphérie. Un certain goût s'y formait, le ton y était donné, donné surtout par des Israélites berlinois. De la souplesse et du système, le goût du nouveau et celui de la tradition, de la seule tradition

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