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— Pourquoi dites-vous le plus vrai ?

Il ne sait comment exprimer sa pensée avec ménagement :

— Certains d’entre nous se sont dépréciés durant la guerre ; d’autres au contraire y ont atteint leur sommet, sans le savoir eux-mêmes, portés par les événements. Je crois qu’Heuland était du nombre. À la longue, il s’est produit du fléchissement chez presque tous, non pas dans leur conduite mais dans leur ferveur. La fatigue a fini par tout user, même la souffrance, et l’habitude a dû suppléer à nos autres soutiens. Mais Heuland n’a pas eu le temps de connaître ce dessèchement. Croyez-moi : c’est lorsqu’il avait ce visage-là qu’il a touché son point le plus haut.

Le regard de Clymène ne se détache pas de la photographie :

— Vous voulez encore m’enlever quelque chose, murmure-t-elle, et toujours au profit de la guerre. Elle m’a trop pris déjà, elle est trop forte pour que je prétende contester avec elle. Admettons que la part la plus pure lui revienne ; mais cette part-ci du moins est bien à moi.

Elle prend dans ses mains le cadre où le père et les trois petits sont réunis :

— Je comprends bien qu’il y a dans l’uniforme une noblesse qui manque ici ; mais par contre je le distingue, lui, davantage ; il est plus près de moi ; il a son air de tous les jours ; je vois ses mains…

Les yeux de Vernois vont au portrait militaire, où les mains disparaissent dans les poches de la vareuse. Clymène essaie d’expliquer :

— Oui, ses mains étaient si adroites. Quand il travaillait dans son atelier, j’aimais voir comme elles maniaient les outils. Elles semblaient agir toutes seules, pour leur propre plaisir. On peut discuter sur les idées et les sentiments ; mais les mains, on sait ce qu’elles valent, quand on les tient, quand elles vous touchent. Peut-être un homme ne peut-il pas comprendre… Que cela soit détruit,