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doigts enveloppés dans des chiffons, c’est lui qui s’est payé notre tête.

Les yeux brillants d’Antoine laissent deviner qu’on ne lui parle pas souvent de son père sur un ton si familier.

— Je pense, dit Vernois, que tu te le rappelles bien. Moi j’ai perdu mon père juste au même âge que toi et pourtant je le revois comme s’il venait de me quitter.

— Il est aussi mort à la guerre ?

— Non, c’était dans un temps où l’on ne savait même plus du tout ce que c’est que la guerre. Il était garde forestier et il est mort dans la montagne, d’une congestion de froid. Eh bien, souvent je cherche dans mon souvenir tout ce que je puis me rappeler de lui — comme il faut que tu recherches dans le tien tout ce que tu peux retrouver de ton père à toi. Je l’aperçois assis à table, ou lisant son journal, ou marchant devant moi, des heures et des heures, dans les grandes forêts de sapins. Et tu devrais te rappeler bien plus de choses que moi, parce que ton père était jeune et gai et qu’il jouait avec vous, tandis que le mien commençait à se faire vieux et ne me parlait presque jamais.

— Pourquoi il ne vous parlait pas ?

— Parce que c’était son caractère, et que sa vie n’avait pas été bien facile ; ma mère était morte quand je savais à peine marcher, et sans doute il ne trouvait pas grand’chose à dire à ce petit bonhomme qui trottait derrière lui dans ses promenades. Quand il apercevait un champignon comestible, il se contentait de me le montrer du bout de sa canne ; je courais le cueillir et je le mettais dans un filet que nous emportions pour cela. Dès qu’il voyait que le filet devenait trop lourd, il me faisait signe de le lui remettre. Dans le fond il était très bon. Mais combien j’aurais été plus heureux d’avoir un père sur le dos duquel on pût grimper, avec qui l’on pût faire des niches !

Ce n’est pas sur lui-même que Vernois désire attacher l’esprit de l’enfant, mais il est touché de l’entendre demander :