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464 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

M. Estaunié s'est attaché à écrire, avec une sécheresse d'ingé- nieur vraiment consubstantielle au sujet, le roman de la douleur. Mais ce roman, cette sombre Hécate littéraire, a trois faces : roman de la douleur, et aussi roman de la solitude et roman du silence. Roman de chacun des trois précisément parce qu'il est le roman des deux autres. Ce roman qui était en puissance dans YEnipreiiite et le Ferment, et qu'à la lueur des œuvres sui- vantes nous en voyons se dégager, M. Estaunié l'a abordé de divers côtés avec Les choses voient, Solitudes, V Ascension de M. Bas- lèvre. Il semble qu'il en donne aujourd'hui la somme dans V Ap- pel de la Route.

Pour M. Estaunié l'existence est affectée non seulement du sceau originel de la souttrance, mais encore de cette autre niar- que, que nous ne pouvons vivre sans faire souffrir autrui. Dans V Ascension de M. Baslcvrc un pur amour menait vers la lumière un être terne qui avant d'aimer ne paraissait que le plus ordi- naire des vaincus de la vie. Ce livre aurait pu aussi s'appeler V Appel de la Route, et se terminer sur le même thème que le livre d'aujourd'iiui. Mais il s'agissait alors de la route lum.i- neuse, tandis qu'il s'agit ici de la route sombre. Une route dont toute la ténèbre tient dans l'énigme de cette phrase, prononcée par un des personnages : « Pourquoi l'être humain ne saurait-il respirer sans créer d'abominables conflits ? Pourquoi l'essai- mage automatique de la douleur, et la nécessité de toujours tuer pour vivre ? » Et ailleurs : « Est-ce que les hommes ont besoin de vouloir pour faire souffrir ? 11 suffit d'exister. »

Cela je ne dirai pas que M. Estaunié l'a démontré. Un roman d'ailleurs ne démontre rien. Mais il l'a développé dans trois récits convergents qui sont des chefs-d'œuvre de composition savante et originale. Trois amis réunis discutent sur la souf- france humaine, et chacun s'engage à apporter des exemples fournis par la vie à l'appui de sa thèse, à savoir, pour le pre- mier, que la souffrance est injuste, pour le second qu'elle est incompréhensible, pour le troisième qu'elle est incomprise. Or il se trouve que les trois récits se complètent et n'en font qu'un. Le hasard a fait que le deuxième ami, puis le troisième, ont été plus ou moins en rapport avec les personnages qui font !e

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