Page:NRF 18.djvu/475

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE ' 469

souterrain qui semble écrire les caractères du hasard, et qui écrit ceux de la destinée.

« Le silence d'un homme qui souffre, dit M. Estaunié, finit par éteindre la beauté de l'univers et l'univers lui-même. » Ses personnages croient qu'ils se taisent parce qu'ils souffrent. En réalité ils ne souffrent que parce qu'ils se tai^^ent ou qu'on se tait autour d'eux ; parce qu'ils se sont tus ou qu'ils ont été pris dans une conspiration familiale de silence. Et ce n'est pas le silence qui éteint l'univers autour de l'homme que le silence fiiit souffrir, mais, s'il s'est tu, c'est qu'il vivait déjà dans un univers à peu près éteint. Se taire c'est nier l'univers et se constituer soi-même en univers. Il y a dans l'homme le silence bas, l'air des vallées, qui provient de la timidité, et le silence élevé et glacial, l'air des cimes, qui provient de l'orgueil. Mais l'un et l'autre participent de la même essence, car la timi- dité est une forme de l'orgueil, c'est l'orgueil des faibles.

Le silence ne fait qu'un avec la solitude, et ces récits de M. Estaunié nous apparaissent comme la suite de ses Solitudes. Il y a des hommes qui souffrent de la solitude et des hommes qui paraissent en jouir : les Pensées de Pascal nous donnent la formule des premiers, et tant de pages délicieuses de Rousseau la formule des seconds. Et cependant le malheur et la folie de Rousseau ne sont-ils pas nés de la solitude, de cette solitude peuplée par lui de « taupes » imaginaires ? Dans ses derniers romans M. Estaunié semble avoir été halluciné par cette idée que la solitude est le visage le plus ordinaire de la souffrance. Mais ce mal fait tellement corps avec le solitaire qu'il l'aime du même fonds dont il s'aime, qu'il ne pourrait le détester qu'en se détestant. Dès lors il est amené à tenir cette solitude et cette souffrance pour l'appel d'une route qui se confond, ou qui pourrait se confondre avec lui. La conclusion du roman de M. Estaunié est en somme chrétienne, puisque l'appel de la route reste personnifié parla retraite d'une carmélite et par les discours d'un prêtre qui parle en prêtre. Mais cette conclusion n'est pas présentée comme une certitude, et le livre, commencé sur une angoisse, écrit dans l'angoisse, finit sur une angoisse. Derrière le rideau de son parloir nous ne voyons pas plus

�� �