Page:NRF 18.djvu/649

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

SODOME ET GOMORRHE OU MARCEL PROUST MORALISTE 643

incapables de souffrir eux-mêmes ou d'êire une source de plaisir pour autrui. Au contraire, M. de Charlus, le duc de Guermantes, le violoniste Morel, même lorsqu'ils prêtent à rire par les aventures bizarres et grotesques où les entraîne leur penchant, ne sont pas moins éloquents, ni moins tou- chants que les rois et les princesses de Racine. On remar- quera justement que dans son dernier ouvrage, M. Proust a multiplié les citations à'Esther et d'Athalie. C'est, à vrai dire, dans une intention de parodie, mais de semblables allusions auraient un air insolite et choquant si le lecteur ne pouvait retrouver quelque chose de racinien dans les passions qui agitent les héros de Sodome et Gomorrhe.

L'indulgence que l'on sent chez M. Marcel Proust n'est pas faite de scepticisme, elle est comme le reflet de l'intime satisfaction que donne au moraliste la sûreté vérifiée de son diagnostic, alors que chez d'autres psychologues, une amertume constante trahit le trouble où les jette le voisi- nage des passions dont ils ne peuvent se détacher pour les considérer à loisir, où dont l'attrait leur demeure incom- préhensible.

Rien n'est plus significatif, à cet égard, que les gracieux traits de plume dont M. Proust se plaît à fleurir la pointe d'une pensée trop aiguë. Nul ne sait mieux rafraîchir à propos le lecteur oppressé par la révélation d'un instinct obscur, pudiquement méconnu. Loin de se complaire dans le trouble qu'il a suscité il nous rend, grâce à la poésie des mots, à l'invention d'une image divertissante par sa jus- tesse même, le goût de respirer la lumière et l'air libre, tel Pelléas à la sortie du souterrain.

Par exemple, s'il veut exprimer que le désir physique naît parfois au milieu d'un chagrin encore tout vif, M. Proust écrira : « Ne voit-on pas, dans la chambre même « où ils ont perdu un enfant, des époux, bientôt de nou- « veau enlacés, donner un frère au petit mort. » Il serait facile de montrer combien un tel art est le contraire du naturalisme et de l'impressionnisme. M. Proust ne décrit

�� �