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SODOME ET GOMORRHE OU MARCEL PROUST MORALISTE 645

temps à autre, redonner du ton à un amour plus conscient qu'enivré et trop perspicace. Aussi longtemps qu'il demeure incertain des mœurs d'Albertine, nous voyons le héros prêt à s'abandonner à la lassitude, presque au dégoût. Mais c'est dans l'instant même où le doute ne lui est plus permis, où mille petits faits se groupent, où tant de chemins suivis et perdus se recoupent au même point brillant et douloureux qu'il puise dans la certitude même du vice soupçonné en elle, la résolution d'épouser son amie. Oe tellf; ^n? yses passent les bornes de la psychologie romanesque. Elleà déposent en nous tout un résidu d'in- quiétudes et de remords. Il semble qu'à tous les détours du labyrinthe charmant où M. Proust nous entraîne, des miroirs inattendus sollicitent nos regards, pendant que le guide impassible continue son commentaire fleuri. Mais la no- blesse de cœur, la qualité suprême d'intelligence dont témoigne l'art de Marcel Proust a pu faire illusion sur le vrai caractère de sa morale. Le mot de relativité se présente naturellement à l'esprit de quiconque réfléchit à la portée de cette découverte psychologique, celle d'une vérité sou- mise non seulement aux lois du temps et de l'espace, mais encore au rythme plus ou moins accéléré de la vie et de la passion, chez tel ou tel observateur.

Il est évident qu'à la triangulation de Laclos, M. Proust a ajouté des théorèmes nouveaux et des solutions élégantes; faut-il dire qu'il a bouleversé la psychologie, comme on dit qu'Einstein a fait la physique ? Il paraît que certains critiques ont comparé l'œuvre de Proust à celle du savant allemand. Etant de ceux qui n'entendent point les théories de cet illustre mathématicien, je ne puis vérifier la justesse d'un tel rapprochement. Dirai-je pourtant qu'il a quelque chose d'assez séduisant pour l'imagination ? Si la notion de relativité morale peut être déduite d'une œuvre d'ima- gination et de psychologie, n'est-ce pas de celle de Marcel Proust où les points de vue sont multipliés à l'infini, ou

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