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très grande. J’ai également oublié le nom de mes propriétaires ; il se peut d’ailleurs que je ne l’aie jamais su. Je me souviens qu’on appelait la femme Stepanida ; quant à son nom à lui — je ne me le rappelle pas. Où sont-ils maintenant ? — Je ne le sais pas du tout. Je suppose que si l’on se met à chercher et à recueillir des renseignements à la police de Pétersbourg, on finira par retrouver leur trace. Le logement donnait sur la cour ; il en occupait un coin. Cela se passait en juin. La maison était peinte en bleu pâle.

Un jour mon canif disparut de ma table ; je n’en avais d’ailleurs pas besoin ; il ne me servait à rien. J’en parlai à ma propriétaire, ne supposant nullement qu’elle fouetterait sa fille ; mais elle venait de crier sur elle à cause d’un torchon disparu et dont elle soupçonnait que l’enfant s’était servie pour fabriquer une poupée ; elle l’avait même tirée par les cheveux. Quand ce même torchon se retrouva plus tard sous la nappe, la fillette ne voulut pas prononcer un mot de reproche et resta silencieuse. J’observai qu’elle le faisait exprès et m’en souvins, parce que c’est alors que pour la première fois je remarquai le visage de l’enfant qui jusqu’ici ne faisait que passer devant mes yeux. Elle était d’un blond pâle, avec des taches de rousseur ; un visage ordinaire ; mais il y avait en lui quelque chose de très enfantin et de calme, d’extrêmement doux et calme. La mère était mécontente qu’elle ne lui lit pas de reproches et se tût ; c’est alors justement qu’arriva l’histoire du canif. La femme fut prise de rage d’avoir pour la première fois battu injustement sa fille ; elle saisit des verges dans un balai et sous mes yeux même elle fouetta l’enfant jusqu’au sang bien qu’elle entrât déjà dans sa douzième année. Matriocha ne cria pas sous les verges parce que j’étais là debout certainement ; mais à chaque coup elle sanglotait étrangement ; elle continua à sangloter encore pendant toute une heure. L’exécution terminée, je découvris tout à coup le canif sur mon lit, dans