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Je le répète. Je caressais même avec un certain plaisir l’idée d’être déporté en Sibérie ; je m’ennuyais tellement que j’aurais pu même me pendre ; si je ne me pendis pas, c’est que j’espérais encore quelque chose, comme durant toute ma vie. Je me souviens que je m’occupais alors de théologie, et très sérieusement même. Cela arriva à me distraire quelque peu ; mais je m’ennuyais encore plus après. Quant à mes sentiments sociaux, ils se réduisaient au désir de placer de la poudre aux quatre coins et de faire tout sauter à la fois, si seulement cela avait valu la peine. D’ailleurs, sans nulle méchanceté, mais simplement parce que je m’ennuyais beaucoup ; pas autre chose. Je ne suis nullement socialiste. Je suppose que c’était une maladie. A ma question plaisante : « N’existe-t-il pas de gouttes quelconque pour activer l’énergie civique ? » le docteur Dobrolioubov, échoué, sans place, avec une nombreuse famille dans notre maison meublée, me répondit une fois : « Pour exciter l’énergie civique, il n’y en a pas, je crois, mais en ce qui concerne l’énergie criminelle, il s’en trouverait, peut-être. » Et ce calembour lui fit grand plaisir, bien qu’il fût terriblement pauvre et chargé d’une femme enceinte et de deux petites filles affamées. D’ailleurs, si les gens n’étaient pas satisfaits d’eux-mêmes, personne ne voudrait vivre.

Trois jours se passèrent encore et je retournai à la Gorokhovaïa. La mère se préparait à sortir avec un gros paquet ; le père n’était pas a la maison, naturellement ; je restai donc seul avec Matriocha. Les fenêtres (dans la cour) étaient ouvertes. Il y avait beaucoup d’artisans, dans la maison et tous les étages retentissaient du bruit des marteaux et des chansons. Une heure s’était déjà écoulée. Matriocha était assise le dos tourné dans son coin, sur un petit banc ; elle cousait quelque chose. Tout à coup elle se mit à chanter, doucement, très doucement ; cela lui arrivait parfois. Je tirai ma montre ; il était deux heures. Mon cœur se mit à battre fortement. Je me levai