Page:NRF 19.djvu/127

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Les poèmes qu’il nous livrait, il ne les considérait nullement comme un aboutissement, mais comme un jeu, une sorte de démonstration, qu’il se donnait à lui-même, d’expérience, ou mieux : d’expérimentation. Même il songeait à les réunir sous ce titre commun : Exercices, entendant par ce mot, non un moyen d’entraînement, mais bien la mise en vigueur d’un système ; et je ne pense pas que le Vinci considérât très différemment ses tableaux.

De ce système, il ne m’appartient pas de parler. Je veux croire avec Valéry que son œuvre la plus importante gît éparse encore dans ces mystérieux cahiers ou lentement il l’élabore, et qui sens doute rappellent eux aussi ceux de Vinci. Mais méthode ou système, si excellent qu’il soit, que vaudrait-il pour réussir une œuvre d’art, sans les particulières qualités de celui qui l’applique? Ce qu’il me plaît surtout de retrouver dans les vers de Valéry, bien qu’ils l’offusquent, c’est sa tendresse. Je me souviens que dans les premiers temps de notre amitié, il me citait avec admiration un mot de Cervantes (je crois) : « Comment cacher un homme ? », mot dont alors je ne saisissais pas bien le sens. J’attendais l’œuvre de Valéry pour le comprendre.


A PROPOS DE MARCEL PROUST


M. Ernest Curtius a publié dans le numéro de Février du Neue Merkur un remarquable article sur Marcel Proust, dont il n’est peut-être pas trop tard pour donner ici un extrait :

Ce que Gide a dit un jour des hommes de la Provence : qu’ils ont « cette assurance un peu facile de ceux qui s’étaut déjà dits dans le passé, n’ont plus qu’à se redire sans effort et ne trouvent plus rien de bien neuf à chercher », cela nous vient souvent à l’esprit à propos des* livres des Français. Combien pourtant il serait trompeur de généraliser de telles impressious, c’est ce que montrent les ouvrages de Proust. Proust demande au lecteur un assouplissement et une réadaptation de son appareil de perception esthétique, une tension élastique, qui exige d’abord un déploiement d’énergie, mais qui ensuite — comme une série d’exercices musculaires — produit une vitalisation bienfaisante de tout l’organisme. Il a justement, lui, du nouveau à dire, et il a dû se fabriquer, à cet effet, des movens d’expression nouveaux. Et pourtant le résultat de son art s’insère après coup dans la loi constitutionnelle de l’esprit français, dans la perspective de son optique, telles que nous les connaissons d’après une longue tradition, d’une manière tellement significative, qu’en nous retournant pour regarder en arrière, nous éprouvons cette satisfaction que donne toute vue sur une conti-