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190 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

et à pénétrer ce patrimoine intellectuel qui n'est pas le mien mais qui, un jour, sera peut-être accru par moi. Je veux me l'approprier.

Il scanda ce mot et du pied frappa le sol.

— Est-ce impossible ? Ces choses, ne puis-je les compren- dre aussi bien que Montclar ou Robin ? Est-ce que je ne les admire pas plus qu'ils ne les admirent, dis-moi ? Et à qui fais-je tort ? Il n'y a aucun calcul secret, il n'y a aucun mobile égoïste dans mon ambition. Alors pourquoi ne veut- on pas de moi ? Pourquoi m'accueillir par de la haine ?

Comme il parlait, je regardais fixement devant moi. Et son accent avait une telle portée que sur le fond rigoureux de ce paysage d'automne, il me semblait voir se succéder tout ce que je savais des vicissitudes d'Israël.

Je voyais un petit lac de Judée, pareil à celui-ci, des bords duquel, un jour, des Juifs étaient partis. J'avais la vision de ces Juifs à travers les âges, errant par le monde, parqués dans la campagne sur des terres de rebut ou tolérés dans les villes entre certaines limites et sous un habit infa- mant. Opprimés partout, n'échappant au supplice qu'en essuvant l'outrage, ils se consolaient du terrible traitement infligé par les hommes en adorant un dieu plus terrible encore. Et au bout de ces générations chargées de maux, je voyais, réfugié auprès de moi, Silbermann. Chétif, l'œil inquiet, souvent agité par des mouvements bizarres, comme s'il eût ressenti la peine des exodes et toutes les menaces, toutes les craintes sacrées endurées par ses ancêtres, il souhaitait se reposer enfin parmi nous. Les défauts que les persécutions et la vie grégaire avaient imprimés à sa race, il désirait les perdre à notre contact. Il nous offrait son amour 'et sa force. Mais ou repoussait cette alliance. Il se heurtait à l'exécration universelle.

Ah ! devant ces images fatales, en présence d'une ini- quité si abominable, un sentiment de pitié m'exaha. Il me parut que la voix de Silbermann, simple et poignante, s'élevait parmi les voix infinies des martvrs.

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