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SILBERMANN I97

nous arrêtâmes. La vue de la ville à ses pieds provoqua chez Silbermann une excitation singulière. Lançant vigou- reusement la voix dans l'espace, il développa ses théories et me fit un tableau de la société future. Tl affirma sa croyance à l'amélioration du sort humain et au bonheur universel.

— Ces temps viendront, clama-t-il. Cela est aussi sûr qu'il est sûr que le soleil se lèvera demain.

Enivré par cette promesse, je suivais avec enthousiasme son doigt qui, pointé vers la ville, indiquait d'un signe destructif ce qui devrait disparaître et traçait le plan de la communauté nouvelle.

— Assurer le paradis matériel de l'humanité, qui aura cette gloire ? dit-il rêveusement.

Et ses yeux s'illuminèrent, comme s'il avait eu l'éclair qu'il pourrait être ce Messie. Ainsi Dassa l'hiver.

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Au lycée, Silbermann remportait les mêmes succès dans ses études, bien qu'il fût souvent blâmé pour son manque de méthode. Notre professeur de français lui reprochait en outre l'abus qu'il faisait de ses lectures et l'habileté avec laquelle il s'appropriait les idées et le style des autres. Et il laissait voir que le procédé, venant de Silbermann, ne le surprenait pas.

Le printemps fut le signal de la reprise des hostilités contre Silbermann. Les jeux en plein air recommencèrent et chacun s'y livra avec une ardeur nouvelle. Dans la cour, on formait des rondes qui brusquement entouraient Silbermann et le tenaient prisonnier. Par des grimaces on singeait sa laideur, laquelle devenait de plus en plus frap- pante, car, à mesure qu'il se développait, il perdait cet air d'enfant précoce qui lui avait conféré une manière de grâce. Insulté, bousculé, ayant sans cesse un nouvel assail- lant dans le dos, il tenait tête avec rage, répondant à l'un et puis à l'autre ; enfin, excédé, il tentait de rompre le cercle et roulait à terre.

Cette année-là, il y eut des élections. Elles furent prépa-

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