SILBERMANN 201
Qui donc peut adorer? Qui donc peut affirmer? Dès qu'on croit ouvrir l'être, on le sent se fermer. Dieu! cri sans but peut-être, et nom vide et terrible ! Souhait que fait l'esprit devant l'inaccessible ! Invocation vaine, aventurée au fond Du précipice aveugle où nos songes s'en vont ! Moi qui te porte, ô monde, et sur lequel tu vogues ! Nom mis en question dans les sourds dialogues Du spectre avec le rêve, ô nuit, et des douleurs Avec l'homme...
Dès le début, l'apostrophe étonnante avait fixé l'attention générale sur Silbermann. Puis à mesure que s'élevait la voix claire et puissante qui donnait à chaque mot sa force, à chaque pensée sa gravité, tous, en classe, s'étaient entre-regardés avec une sorte de trouble. Devant cette vision apocalyptique, devant cet éclair illuminant un chaos, chacun avait songé à ses rêves, à ses doutes, à ses angoisses, et avait désiré être rassuré par le visage de son voisin. Mais bientôt, comme s'ils s'étaient sentis de force à se mesurer contre cet audacieux exterminateur, dressé parmi eux, ils firent entendre un grondement d'indignation. La voix de Silbermann domina ce bruit. A peine interrompu, il lança avec un son retentissant :
Dieu ! conception folle ou sublime mystère !
Un tapage furieux éclata sur tous les bancs. Le profes- seur intervint, fit asseoir Silbermann et, une fois le silence rétabli, lui dit avec une sèche ironie :
— Vous avez sans doute voulu prouver à vos cama- rades à quel point vous manquiez de tact, Monsieur Sil- bermann !
Mais qu'importait à. Silbermann !
Je le regardai et je vis, malgré son calme apparent, com- bien il triomphait intérieurement. Il lançait des coups d'œil vers les Saint-Xavier, et l'orgueil dilatait ses narines.
La classe s'était ressaisie. Montclar fit passer furtivement
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