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��RÉFLEXIOXi SUR LA LITTERATURE 20J

Russie, l'esprit musical de l'Allemagne, l'esprit religieux de l'Angleterre, ont aujourd'hui avec l'Orient des rapports plus faciles que l'esprit clair et précis, oratoire et raisonneur, délicat et sceptique qui tisse les mailles souples, fines et sèches du génie français. La personne et la parole de Tagore n'ont guère eu en France qu'un succès de curiosité. Pierre Hamp, en un article singulièrement vigoureux, a ramassé tous les arguments et les sentiments qui empêchent un Occidental sain et normal de céder à ce doux mirage ; mais sans doute, au temps de Marc-Aurèle, des philosophes écrivirent-ils contre les chrétiens de petits trai- tés aussi pertinents, et l'empereur Julien parle parfois avec le même bon sens. Si les traductions anglaises des poèmes de Tagore ont eu la chance de trouver en Gide et en d'autres d'ad- mirables traducteurs français, ceux de ses ouvrages dont l'action en Europe est la plus forte ne nous ont guère touchés. Le livre Nationaîism n'a même pas été traduit. Et le roman la Maison et le Monde n'a eu dans sa veision française aucun succès. C'est pourtant, à mon avis, un pur chef-d'œuvre, non seulement de sentiment, mais de technique, écrit à la fois par un homme d'une sensibilité et d'une tendresse infinies, et par un artiste singulièrement intelligent, qui a su, quoi qu'il en dise, se mettre à l'école des romanciers anglais. Alors que les traducteurs n'ont pas hésité à nous opprimer sous d'effroyables pavés comme la Genèse du XIX e siècle de H. S. Chamberlain, le Journal de voyage d'un philosophe, qui est un des chefs-d'œuvre allemands du xx- siècle, n'a pas encore passé en français. (Mais quand on pense que le chauvinisme a bien arrêté la traduction des œuvres de Nietzsche !)

L'orientalisme ne projette pas chez nous les larges courants que semblent connaître les pavs germaniques. Il n'atteint pas aux profondeurs de notre vie religieuse et morale. Nous devrions lui faire un accueil d'autant meilleur que nous ne nous sentons nullement menacés d'être envahis par lui. Et défait, si nous l'introduisons peu dans nos maisons et dans nos âmes, nous avons du moins des jardins sur l'Orient, des jardins en Orient. Notre poésie au xix e siècle n'a été touchée ni moins ni plus que celle de l'Angleterre et de l'Allemagne par le goût de l'Orient et des imitations orientales. Il y a, en peinture et surtout en littérature, un orientalisme français, dont j'es-

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