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NOTES 229

LE ROMAN

LES AMORANDES, par Julien Benda (Emile-Paul).

M. Julien Benda a la passion de comprendre. Mais au contact direct de la vie brute il a d'abord préféré les constructions intel- lectuelles des hommes. Il semble se défier de ses propres sens. Il aime mieux évaluer, classer que percevoir. Il fait jouer son esprit sur les apports des autres. On trouve en lui du bibliothé- caire ou du collectionneur. Son esprit a besoin d'impulsions étrangères. Et ces souffles qui le font mouvoir, ils ne viennent pas de la terre, mais des philosophes ou des poètes.

Il est vif, souple, pénétrant. Il nou-s étonne toujours par son ingéniosité, par sa finesse et par sa précision. Il nous apporte un plaisir délicat. Mais ce plaisir est-il complet? Tant d'efforts sur une matière déjà élaborée nous déçoivent parfois. Devant certaines de ces pages nous éprouvons ce divertissement sans joie profonde que donne, malgré la plus brillante perfection, l'inu- tile travail d'un trapéziste.

Le philosophe constructeur part des multiples sources réelles, c'est-à-dire du particulier et, condensant les infimes images que tant de sources lui apportent, il forme lentement un faisceau, une notion large, générale, une idée. M. Julien Benda travaille sur ces faisceaux déjà formés ; il raisonne sur ces matériaux déjà polis par la raison. Et parfois il devient subtil.

La subtilité est le défaut principal de M. Benda lorsqu'il veut être philosophe. Mais philosophe, il ne veut pas toujours l'être. Cet amant des systèmes aime aussi la vie et, si ce n'est la vie brutale, au moins le reflet que les poètes lui apportent. Goût du raisonnement et goût des richesses sensuelles du monde, entrevues à travers le voile des poètes, c'est le caractère double de cet esprit. Rencontre délicate, qui n'arrive pas à être une alliance harmonieuse et qui, parfois, fait vaciller M. Benda. Dans la philosophie il se sent insatisfait, il évoque la vie. En face de la vie, trouble analogue. Et il fait appel au raison- nement.

M. Benda, qui si longtemps s'est nourri de livres, qui semble n'avoir vécu que par l'esprit, sent bien quelle sécheresse en résulte. Ses efforts vers la vie restent d'abord timides. Il met sa pensée en dialogues, il dramatise ses exposés. Il s'enhardit

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